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lui en sauraient pas le moindre gré ; c’était se sacrifier en pure perte pour elles et sans aucune nécessité de conscience[1]. Tel n’était pas du tout le sentiment du saint-père : il croyait sa conscience directement engagée à ne pas rompre de son fait, par un acte émané du prince temporel et qui lui serait imposé par des considérations également toutes temporelles, les relations spirituelles qu’il était, comme chef de l’église et comme père commun des fidèles, tenu d’entretenir avec toutes les âmes qui professaient la foi catholique. Il écrivait dans ce sens au cardinal Caprara[2], s’efforçant de redresser son erreur, le gourmandant doucement de sa pusillanimité, mais surtout afin de mettre son représentant à Paris à même de convaincre l’empereur des sincères angoisses qui, en cette circonstance douloureuse, déchiraient le cœur du chef de la catholicité. Les considérations que le cardinal Consalvi s’efforçait de son côté de faire valoir pendant cette dernière phase d’un débat qui ne pouvait plus désormais se prolonger longtemps étaient d’une autre nature, toutes pratiques pour ainsi dire et d’un manifeste bon sens.

« L’empereur, disait-il, possède en fait, quoique nous lui contestions le droit, Ancône, Sinigaglia, Pesaro, Fano, sur l’Adriatique, Civita-Vecchia et Ostie (dont il s’était plus récemment emparé), sur les rivages de la Méditerranée. Cette possession de toutes nos côtes le met à même de déjouer militairement toutes les tentatives de ses ennemis. Il a les avantages de souveraineté ; que ne s’en contente-t-il ? » Il ajoutait cette autre vérité non moins incontestable : « si la prépondérance actuelle de la France se maintient pendant des siècles, elle ne cessera point de faire, comme à présent, tout ce qu’elle voudra dans le très faible état pontifical. Il n’est besoin pour cela d’aucun pacte. Si au contraire elle venait à perdre cette suprématie momentanée, tout pacte serait rompu du jour où son prestige s’évanouirait[3]. »

C’était la raison même qui parlait par la bouche de Consalvi ; mais l’empereur n’écoutait plus la raison, « Il ne se contentait plus d’obtenir la chose qu’il désirait, remarque judicieusement le cardinal secrétaire d’état, il ambitionnait encore davantage. Il luttait pour l’apparence autant que pour la réalité. Il fallait que le

  1. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, du 5 avril 1806. «… Depuis le 1er jour de sa mission, le cardinal-légat remplissait ses dépêches de toutes les arguties possibles pour engager le pape à souscrire aux volontés de l’empereur. » — Mémoires de Consalvi, t. II, p. 448-449.
  2. Lettre du pape au cardinal Caprara, 13 juin 1806.
  3. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 446. — Dépêche du cardinal Consalvi au cardinal Caprara, 23 mai 1806, 24 mars 1806, 14, 16 et 17 juin 1806.