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« qu’aucune de ses démarches n’échappe à l’empereur, et qu’il les suit de l’œil. A la première chose qu’il fera, il en répondra sur sa tête, et je le ferai arrêter au milieu de Rome[1]. » On le voit, l’emportement de l’empereur était monté à son comble. Cet emportement lui faisait-il au moins illusion sur la perfidie et la violence des moyens qu’il mettait en usage pour donner satisfaction à sa passion ? Ce serait pour lui une sorte d’excuse ; cette excuse, l’empereur n’en veut point. Il a tout fait de sang-froid et de propos délibéré. De lui-même il qualifie sa conduite par une épithète que la modération de nos jugemens sur sa personne nous aurait empêché d’employer, si elle ne sortait de sa propre bouche. Dans la lettre adressée à son oncle, que nous avons déjà citée et qui doit d’après ses intentions rester profondément secrète, nous trouvons cette prudente, mais effrontée recommandation : « si vous demeurez à Rome, laissez faire à Alquier tout ce qui sera odieux et restez neutre[2]. Évidemment, lorsque l’empereur se servait de pareilles paroles, les actes de violence étaient proches ; on le pressentait à Rome, et l’émotion y était indicible.

Chez le saint-père, le trouble d’âme était plus profond et plus douloureux que chez le secrétaire d’état. Ainsi que Consalvi, Pie VII était parfaitement décidé à résister, coûte que coûte, aux menaçantes injonctions de l’empereur ; mais il sentait tristement que sa résistance, toujours imputée au zélé serviteur qui était en même temps pour lui un véritable ami, compromettrait de plus en plus la sûreté personnelle de son ministre. De la légation romaine à Paris, il ne venait aucun aide au saint-père. Le cardinal Caprara, au lieu d’approuver les refus qu’on opposait à Rome aux exigences de l’empereur, prêchait ouvertement la plus complète soumission à ses volontés, quelles qu’elles fussent. Le pape se trompait, suivant lui, en s’imaginant que son devoir lui commandait de repousser des concessions auxquelles la faiblesse matérielle de sa très précaire souveraineté temporelle ne lui permettait pas de résister efficacement ; c’était un cas de force majeure, il fallait avant tout rester sur ses pieds : c’était là son expression favorite. Les catholiques français les plus sages, les évêques les plus autorisés, tous ceux qui étaient les plus attachés au saint-siège, étaient ouvertement d’avis que la cour de Rome devait céder ; ils le lui répétaient tous les jours. La responsabilité spirituelle du père commun des fidèles n’était pas engagée à se mettre en travers des événemens dont il ne pouvait arrêter le cours. Les puissances étrangères ne

  1. Lettre de l’empereur à M. de Talleyrand, 26 mai 1806. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XII, p. 402.
  2. Lettre du 16 mai 1806.