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Talleyrand, quoique rendu au siècle et n’ayant rien gardé de l’esprit de son ancien état, savait mieux que personne comment il fallait s’y prendre avec les membres du clergé. Napoléon venait de l’employer avec grand avantage dans les négociations qui avaient précédé et suivi la paix de Presbourg. Il était en ce moment plein de confiance en lui. M. de Talleyrand, heureux de la faveur que lui témoignait le grand homme qui présidait aux destinées de la France, faveur d’ailleurs si méritée par les services qu’il rendait alors, avait en même temps trop de liberté de jugement pour ne pas discerner les fautes de conduite et trop de tact pour n’être pas choqué des violences de forme auxquels cet impétueux souverain, affranchi de toute entrave, se laissait déjà si facilement entraîner. Redresser l’empereur, nul n’y songeait ; il n’était guère redressable. M. de Talleyrand était trop avisé et trop bon courtisan pour prétendre à rien de semblable. Ce à quoi s’appliquait avec soin, le ministre des relations extérieures, ce à quoi il excellait merveilleusement, c’était non pas à changer le fond, mais à modifier, quand il le pouvait, légèrement il est vrai, mais souvent de la manière la plus habile, l’expression et quelquefois le ton même des communications qu’il était chargé de faire aux cours étrangères. Ses dépêches étaient habituellement comme empreintes du génie particulier à celui qui les lui avait inspirées. Elles reproduisaient volontiers et presque littéralement les paroles fortes et colorées dont l’empereur aimait à se servir ; cependant les aspérités trop rudes ou les violences trop malséantes en avaient à peu près disparu. Napoléon se retrouvait lui-même avec un certain plaisir fidèlement rendu, point changé, à peine corrigé, avec les saillies originales qui lui étaient propres, mais finement adoucies ou dignement ennoblies dans toutes les pièces officielles que M. de Talleyrand rédigeait par son ordre. Cette rare qualité de son ministre des relations extérieures, qui consistait à conserver le thème primitif en transposant un peu la note, à donner le tour le plus heureux ou, si l’on veut, le moins fâcheux à la manifestation impérieuse des volontés désormais indiscutables qu’il avait mission de signifier aux puissances étrangères, l’empereur la lui a toujours invariablement reconnue, même au temps de leur brouille définitive. « Jamais je ne remplacerai M. de Talleyrand, disait-il lorsque, séparé de lui, il lui fallut avoir recours à la plume de M. de Champagny, duc de Cadore, ou de M. Maret, duc de Bassano. Ces gens-là n’ont pas vécu dans le grand monde de l’ancienne cour ; ils ne savent pas me faire parler devant l’Europe. » M. de Talleyrand, si habile à faire parler l’empereur, n’était pas maître toutefois de le faire parler autrement que celui-ci ne voulait ; c’est pourquoi les communications officielles qu’il était chargé de transmettre au cardinal