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même il trouvait scandaleux que le frère d’un ministre du pape fût reçu sur le pied de l’intimité chez Lucien Bonaparte. L’ambassadeur cependant, loin d’être brouillé avec son neveu Lucien, avait presque épousé son parti. Tout lui était grief, et les incidens les plus vulgaires lui servaient de prétexte pour soulever sans choix de continuelles disputes avec la cour de Rome, dans l’espoir que sous le nombre redoublé des griefs Consalvi finirait par succomber. C’est ainsi que deux Italiens portant la cocarde française ayant à la suite de quelque dispute assassiné sur la place Navone un marchand de pastèques, le cardinal Fesch avait imaginé de passer à ce sujet une note foudroyante au secrétaire d’état de sa sainteté. Ce fait si fréquent à Rome d’une rixe entre gens du peuple suivie de coups de couteau y était tout à coup érigé en une machination épouvantable. Le cardinal Fesch, écrivant au pape, lie craignait pas de lui donner à entendre que son ministre, toujours désireux de rendre la France odieuse à Rome, avait autorisé ce meurtre pour soulever la plèbe romaine, et l’avait fait tout exprès commettre par deux individus porteurs de notre cocarde. Pie VII avait été blessé jusqu’au fond du cœur de cette indigne accusation si légèrement portée contre le serviteur éprouvé qui possédait son estime et son affection. Lorsqu’on était allé aux informations, il avait été reconnu que les deux meurtriers étaient des Italiens qui arboraient la cocarde française parce qu’ils étaient employés au service de Lucien. Or peu de temps auparavant Consalvi avait précisément réclamé auprès du ministre de France contre l’abus que se permettaient les personnes de sa nation en donnant la cocarde française à des personnes qui n’avaient nul droit de la porter, et d’avance il avait signalé les inconvéniens qui pouvaient en résulter. Toute cette affaire devenait assez ridicule ; mais le cardinal Fesch avait débuté par en faire le plus grand bruit tant à Paris qu’à Rome. Consalvi de son côté avait profondément ressenti l’injure, qui lui avait été adressée. A la note du ministre de France, il avait, répondu par une dépêche également officielle, repoussant avec dédain ce qu’il appelait une imputation calomnieuse et demandant des passeports pour un courrier qu’il allait immédiatement expédier à Paris. Le cardinal Fesch comprit alors qu’il avait été trop loin : il refusa les passeports ; en même temps il retira sa première note, ou du moins il en écrivit une seconde atténuant les expressions dont il s’était servi et donnant à peu près satisfaction au cardinal Consalvi. La dispute toute personnelle qui avait surgi entre le ministre de sa sainteté et l’ambassadeur de France fut pour le moment tant bien que mal assoupie. Elle n’avait pas tourné à l’avantage du cardinal Fesch : il s’était mis lui-même dans la plus fausse position ; il avait dû, pour en sortir, faire presque à lui seul les frais