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jamais hostile ni factieuse ; mais cette opposition n’absorbait ni notre esprit, ni notre temps ; la libre et pure activité intellectuelle, les lettres, la philosophie, l’histoire nationale et étrangère, devinrent notre occupation choisie, la source de nos sympathies sociales et notre lien avec le public, en qui nos idées et nos publications éveillaient et alimentaient une sérieuse curiosité. C’est le privilège des lettres que, même dans des époques où la liberté politique sommeille, elles peuvent fleurir et briller, seules alors, mais encore assez puissantes pour élever les esprits, unir les hommes dans des plaisirs nobles et donner satisfaction aux grandes parties de la nature humaine. Les siècles d’Auguste et de Louis XIV, pour parler le langage convenu, sont de beaux exemples de cet élan de la vie intellectuelle en l’absence de la vie politique ; mais les siècles de Périclès et des Médicis, et des époques plus modernes en France et en Angleterre, attestent aussi que la liberté politique et ses luttes se peuvent merveilleusement concilier avec l’éclat des lettres et le mouvement de l’esprit humain dégagé de toute autre préoccupation que la recherche du beau et du vrai. Le mélange de la liberté politique et de l’activité littéraire a même alors ce salutaire effet, qu’il donne aux œuvres de l’intelligence pure, un caractère plus viril, plus large, plus empreint de réalité. Ce fut là ce qui arriva sous la restauration, dans les dix années qui s’écoulèrent de 1820 à 1830 ; des hommes naguère mêlés à la vie politique en furent éloignés, et, sans cesser d’en réclamer et d’en pratiquer les libertés, ils portèrent sur les études et les travaux littéraires l’activité, de leurs pensées ; d’autres, plus jeunes et animés aussi d’un vif esprit politique, entrèrent dans les mêmes voies de goût et d’ardeur pour le pur élan de l’intelligence, et les lettres, sous leurs diverses formes, la poésie, la philosophie, la critique, l’histoire, y gagnèrent en étendue et en variété d’idées comme en recherche hardie de la vérité simple sans rien perdre de leurs originales et idéales aspirations.

Dans ce mouvement des esprits, ce fut sur l’histoire et les littératures étrangères que se portèrent les préférences de M. de Barante : sa traduction des Œuvres dramatiques de Schiller et son Histoire des ducs de Bourgogne datent de cette époque, et ces deux ouvrages ont ce remarquable caractère, qu’en même temps qu’ils témoignent des voies nouvelles ; dans lesquelles entraient alors les études historiques et la critique littéraire, ils sont empreints d’une originalité sans parti-pris, sans effort, et attestent la judicieuse indépendance aussi bien que la flexibilité des impressions et des idées de l’auteur. Il admire chaudement l’œuvre dramatique de Shakspeare et de Schiller, cette peinture large et libre de la nature, de la vie et de la société humaines sondées dans leurs plus