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catholicisme ? Devrait-elle laisser ébranler les colonnes de l’église pour donner son attention à des œuvres extérieures presque abandonnées, ruinées de tous côtés, à des greniers de paille où à peine trouvera-t-on quelques bons grains, à des demeures de serpens prêts à la dévorer ? Que n’a-t-elle pas à craindre des Russes et des Anglais… ?[1] »

Quoi qu’il en soit, la brusque remise au cardinal secrétaire d’état de cette dépêche, dont l’accent était, comme on le voit, passablement mélangé, donnait désormais un caractère officiel et public à des prétentions qui n’avaient encore été portées à la connaissance du Vatican que par des voies confidentielles et privées. Un pas immense était franchi, dont Consalvi mesurait mieux que personne les inévitables conséquences. « Bonaparte s’était enfin décidé à démasquer ses batteries et à produire solennellement, écrit Consalvi dans ses mémoires, des idées qu’il n’avait jamais laissé entrevoir, même au saint père[2]… » Il prétendait imposer au saint-siège et au patrimoine de l’église un véritable vasselage et les regarder comme feudataires de son empire. « C’était arracher, continue le secrétaire d’état, à la souveraineté du pape cette liberté et cette indépendance dont les pontifes jouissaient depuis les siècles les plus reculés… Nous vîmes tous que, loin d’admettre la neutralité du saint-siège, Bonaparte entendait même l’obliger, à titre de feudataire et de vassal, à prendre fait et cause à la suite de la France dans n’importe quelle guerre qui s’engagerait plus tard. Il exigeait que le pape reconnût pour ses ennemis les ennemis de la France,… et il imposait ce système comme permanent. Le saint-siège aurait été ainsi forcé de participer à n’importe quelle guerre, juste ou injuste, et de se voir du matin au soir attaqué par l’Autriche, par l’Espagne, par toutes les autres puissances catholiques ou non catholiques. L’intérêt de la religion et l’équité démontraient que le saint-père ne devait pas offenser ou aigrir ces derniers états. Or qui donc aurait ainsi pesé sur le souverain pontife pour le brouiller à son gré avec l’Europe entière ? Quoi ! la seule ambition ou l’avidité de la France aurait eu le droit de dépouiller le saint-père de son titre de père commun des fidèles et d’obliger le représentant d’un Dieu, de paix et le chef de la religion à semer partout la désolation et la ruine en maintenant dans un perpétuel état de guerre les peuples soumis à la tiare[3] ! »

Ces paroles indignées, que nous empruntons au cardinal qui dirigeait alors les conseils du Vatican, témoignent assez à quel point

  1. Note du cardinal Fesch au cardinal Consalvi, 2 mars 1806.
  2. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 423.
  3. Id., ibid., p. 423, 424, 425.