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dépenses que ces appropriations ont nécessitées ; dès lors un capital de 100 millions hypothéqué sur les établissemens et terrains de la compagnie serait souscrit sous forme d’obligations. Telle est en substance la résolution qui doit être proposée à la prochaine assemblée générale des actionnaires du canal maritime.

Cette mesure financière sera-t-elle d’une réalisation facile ? Il ne nous appartient pas de préjuger cette question. Nous nous bornerons à dire que cette combinaison ne précède que de deux ans la mise en rapport du Canal. En 1854, on estimait à 3 millions de tonneaux le minimum du mouvement commercial qui se produirait à travers l’isthme. Depuis lors, les immenses progrès des relations avec l’extrême Orient, le développement continu de la marine à vapeur, permettent d’évaluer au double le total du chargement qui passe annuellement dans les Dardanelles. Combien est plus vaste l’étendue des régions du globe que la nouvelle voie mettra en communication directe ! D’une part 200 millions d’Européens producteurs et manufacturiers, d’autre part 700 millions d’Orientaux consommateurs et envoyant leurs matières premières. Il n’est guère douteux qu’une grande partie du mouvement d’échange ne se fasse par le canal maritime de Suez. On a objecté dès le principe l’élévation du fret des bâtimens à vapeur, seuls propres à la navigation de la Méditerranée et de la Mer-Rouge ; nous répondrons à cette objection par des faits. Dans un récent voyage à Bombay, nous avons pu constater que, pour l’article encombrant du coton, les grandes maisons de commerce traitaient avec les paquebots, trouvant des avantages à diriger leurs marchandises par la voie de l’isthme et n’hésitant pas à payer un fret de 8 livres sterling la tonne, dans lequel les frais de transit et de deux chargemens en Égypte entrent pour une grande part ; les 6 ou 7 paquebots qui font le service régulier de Bombay à Suez suffisent à peine à la demande et ont leur fret retenu vingt ou trente jours à l’avance ; la future ligne que doit établir sur ce parcours la compagnie des Messageries impériales est réclamée avec instance. Voilà des faits qui prouvent, avec les statistiques du commerce, la substitution graduelle de la vapeur aux vieux engins de la navigation. Les institutions humaines dans l’ordre matériel comme dans l’ordre moral doivent toutes désormais s’astreindre à une rénovation, à un progrès incessant ; l’immobilité devient le signe de la décadence. Ces considérations semblent favorables à l’avenir du canal maritime.


ALFRED ROUSSIN.