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avortée du percement de l’isthme. Un célèbre ingénieur, Stephenson, venait appuyer ces assertions ; ses objections, pour être plus conformes aux données de la science, n’en avaient pas moins le même caractère d’exagération ; selon lui la chaleur et la sécheresse de l’atmosphère et des terrains de l’isthme laisseraient le canal à l’état de fossé stagnant, avec des eaux basses, malsaines et incapables de porter une barque. Les faits devaient venir victorieusement renverser toutes ces hypothèses.

Confiant néanmoins dans la réalisation de son œuvre, le président de la compagnie, assisté d’un conseil d’administration et d’un conseil des travaux, concluait un traité avec un entrepreneur, M. Hardon, pour l’exécution des ouvrages préparatoires et la fourniture du matériel. Le 25 avril 1859, sur la plage de Péluse, entouré d’un personnel de cent cinquante ouvriers et employés, de MM, Mougel-Bey, de Montaut, Laroche, Larousse, ingénieurs, il donnait solennellement le premier coup de pioche dans le sable du rivage. Le port futur, dont l’emplacement avait été choisi d’après les considérations que nous avons développées, fut baptisé du nom de Port-Saïd. Les travaux d’installation commencèrent aussitôt.

La ratification officielle de la Porte, réservée par le vice-roi, n’avait pas encore été accordée ; Saïd-Pacha toutefois n’en donnait pas moins courageusement son appui à l’œuvre. Les premiers contingens de corvéables venaient s’adjoindre aux travailleurs européens. On conçoit la vive émotion causée par cette nouvelle. L’entreprise, de chimérique qu’elle était la veille, allait passer dans le domaine des faits. Sous la pression de la Porte, Saïd-Pacha dut rappeler les ouvriers indigènes et notifier officiellement aux représentans des puissances européennes à Alexandrie que leurs nationaux eussent à renoncer à des travaux qui n’avaient en aucune manière le caractère d’études préparatoires. Le président de la compagnie tint bon sous ce rude assaut : le personnel français restait à peu près seul sur le champ des opérations, lorsque, dans les derniers jours de septembre, un haut fonctionnaire arriva de Constantinople, porteur cette fois d’une sommation impérative qui réclamait l’expulsion des travailleurs de l’isthme et l’enlèvement du matériel. Cette injonction fut de nouveau notifiée au corps consulaire, et un délai fut assigné pour l’évacuation.

Le danger était pressant ; M. de Lesseps accourut en France, et à la tête d’une députation du conseil de la compagnie alla solliciter l’intervention de l’empereur pour faire cesser l’opposition, de source bien connue, qui venait menacer à son début l’existence de l’entreprise. Déjà éclairé sur cette question, l’empereur répondit que des négociations étaient entamées depuis peu à cet effet, que sa protection était acquise aux droits et aux intérêts de l’œuvre.