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10 kilomètres qu’exploite M. Couvreux exige un travail d’entretien sérieux. Une atmosphère de sable enveloppe constamment les machines et provoque une usure extrêmement rapide des articulations et des surfaces frottantes. M. Couvreux a installé à El-Guisr d’importans ateliers reliés aux chantiers par des voies ferrées qui rejoignent le sommet des rampes ; 120 ouvriers y sont occupés à la réparation du matériel roulant, qui passe et repasse incessamment entre leurs mains.

Le transport des voyageurs et de la malle est fait journellement d’Ismaïlia à Port-Saïd et de Port-Saïd à Ismaïlia par un vapeur qui parcourt en 9 ou 10 heures les 76 kilomètres de canal. Nous prîmes place le lendemain matin sur ce bateau, qui, larguant ses amarres au quai, descendit les deux écluses, atteignit l’embouchure du canal d’eau douce, et se trouva lancé sur le canal maritime. Un léger courant indiquait le mouvement des eaux allant se déverser dans le lac à 100 mètres au-dessus de cette embouchure. Le vapeur suivait à ce moment le fond de la vallée dont la vue nous avait tant impressionnés la veille. Ce premier chenal maritime peut avoir de 15 à 20 mètres de largeur sur des profondeurs de 2 mètres environ. Après avoir franchi les parties élevées du seuil, nous en longeâmes les derniers contre-forts et les dunes d’El-Ferdane, où la compagnie, installant un chantier en régie, achève des travaux de déblai analogues à ceux d’El-Guisr. Au-delà d’El-Ferdane, l’horizon se découvrit tout autour de nous, nous montâmes sur l’avant du vapeur pour porter nos regards au-dessus des berges. Nous étions dans les régions des lacs Ballah : une vaste plaine grise ayant l’apparence de boue desséchée entrecoupée de lagunes. L’uniformité, la sombre couleur de ce paysage, donnent à cette contrée une profonde expression de tristesse. Rien de plus désolé, de moins propre en apparence à receler la vie, et cependant la vie abonde sous plusieurs formes dans ces vastes solitudes. Des myriades de poissons peuplent les lagunes. Une race d’hommes particulière, énergique et patiente, habite sur les lacs ; leurs barques, de peu de tirant d’eau, en parcourent toutes les sinuosités. Elles vont se ravitailler d’eau douce à Damiette, et se livrent à une pêche dont les produits abondans s’exportent dans toute l’Égypte. Les hommes ne sont pas seuls à faire aux habitans de ces eaux une guerre acharnée. Des myriades d’oiseaux aquatiques vivent dans ces parages, attirés par l’abondance du poisson, dont ils se nourrissent ; on les aperçoit le matin et le soir surtout couvrant les lagunes de leurs bandes interminables. Le flamant rose, l’ibis et le héron, rangés côte à côte, paraissent y vivre en fort bonne intelligence.

Après la station d’El-Kantara, les lacs Menzalèh proprement dits