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succèdent dans la principale rue du campement ; plus loin est la demeure de l’ingénieur de la compagnie, puis celle de l’ingénieur particulier de l’entreprise. Viennent ensuite les magasins, les ateliers de réparation, le logement des ouvriers, enfin la pharmacie et l’ambulance. Le ravitaillement, dont la compagnie dut se charger entièrement dans le principe, s’opère, aujourd’hui de lui-même, grâce à une population de petits commerçans, de Grecs principalement, qui peu à peu a couvert tous les points habités d’hôtels, de magasins et de cantines : on évalue aujourd’hui le nombre de ces trafiquans sur le parcours de l’isthme à 1,500 environ. Nous visitâmes l’ambulance. Le climat du désert est très salubre, quoiqu’il use vite l’ouvrier européen, qui travaille généralement à la tâche et ne ménage pas ses forces ; les quelques malades que nous vîmes étaient pour la plupart des blessés ; leur aspect, la bonne tenue et l’installation du lieu témoignaient des soins dont ils étaient entourés.

De l’autre côté du campement, on se trouve à la frontière même de la ligne des travaux. Nous arrivâmes au bord d’une large tranchée offrant en ce lieu les dimensions définitives du canal, c’est-à-dire un fond ou lit de 22 mètres de large avec des berges inclinées, une profondeur de 8 mètres, à laquelle il faut ajouter les 4 ou 5 mètres dont le seuil dominera le niveau des eaux. En ce lieu même, le travail présentait une particularité : un banc de roche, le seul que traverse le tracé du canal maritime, y occupait une longueur de quelques centaines de mètres sur une épaisseur variable. Il fallait en opérer l’extraction à sec ; le travail est aujourd’hui achevé, et la roche, enlevée sur tout son parcours, ne se révèle plus que par les contours qu’elle dessine sur les parois de la tranchée ; 20,000 mètres cubes de pierre ont été enlevés.

Nous poussâmes plus loin dans la direction du point culminant du seuil. Nous avons dit que la longueur de ce plateau est d’environ deux lieues ; sur toute cette ligne, la tranchée a été attaquée à bras d’homme. Quoique relativement plus coûteux, ce procédé était indispensable, au moins dans une certaine mesure. Les déblais sont enlevés à la pelle et chargés dans les wagons courant sur des rails ; des attelages de mules mettent les chars en mouvement et les amènent au pied de rampes ménagées sur la berge. Au sommet de chaque rampe, une locomobile manœuvrant une chaîne remonte les wagons chargés, pendant qu’à l’autre bout de la chaîne de traction redescendent les wagons vides. Arrivés au sommet, sur une plateforme, les wagons, repris par d’autres mules, vont se déverser à l’extrémité de cavaliers, sortes de tertres formés par les déblais et rayonnant tout autour sur la plaine. Des rampes sont ainsi établies tous les 200 mètres, et sont successivement abandonnées à mesure