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tentative qui rallumât la guerre civile. Jusqu’à ce moment, ils s’étaient tenus fort tranquilles dans les villes et dans les campagnes ; un certain nombre d’entre eux étaient enrôlés, inscrits, armés, et se tenaient prêts pour le moment où ils seraient appelés. Sans être dans la confidence de ce qu’ils préparaient, j’étais assuré de leurs dispositions, et je ne doutais pas de leurs projets. D’autre part je connaissais l’état de l’esprit public à Nantes : la population de cette ville n’avait aucune affection pour le régime impérial, la ruine de son commerce et les sacrifices qui lui avaient été imposés pour soutenir la guerre l’avaient entretenue dans un mécontentement habituel ; mais elle n’aimait pas non plus les Vendéens, dont la résistance avait été pour elle une cause de souffrance. La plupart des gentilshommes étaient vus avec malveillance et inquiétude ; la ville tout entière se serait soulevée pour s’opposer à toute, tentative de leur part.

« Telle était la situation lorsqu’arriva enfin le courrier de Paris. J’avais depuis longtemps réfléchi à ce que j’aurais à faire lorsque viendrait ce moment, qu’il était facile de prévoir ; j’y avais pensé sous le rapport de mes opinions personnelles, mais bien plus encore dans l’intérêt du pays dont l’administration m’était confiée. Là surtout était le devoir ; une fausse démarche aurait suscité la guerre civile, c’est ce qu’avant tout je voulais empêcher.

« Dès qu’on avait su l’arrivée du courrier, une foule nombreuse s’était amoncelée autour du bureau de la poste ; il eût été impossible de m’apporter les dépêches, elles auraient été arrachées à l’employé qui en eût été chargé. Je me rendis au bureau avec le général Brouard, commandant le département ; je le savais d’opinions opposées aux miennes et fort capable de refuser obéissance au gouvernement provisoire qui venait de proclamer les Bourbons. Je lui fis comprendre que c’en était fait de l’empire, que Napoléon abdiquait et n’avait plus d’armée, qu’il n’y avait d’autre chance que le rappel des Bourbons pour conclure une paix moins funeste à la France. Le général ne répondit point, son chagrin était visible. Le voyant à peu près résigné, je lui dis : — Toute la population est là dehors, impatiente de savoir les nouvelles, allons les donner. — Il vint avec moi sur le perron, et je donnai à haute voix lecture de la proclamation du gouvernement provisoire, qui fut très bien accueillie de cette foule ; puis je proposai au général de venir avec moi au théâtre pour procéder à la même publication. Tout cela lui déplaisait, mais il s’y prêta. Au théâtre, les nouvelles trouvèrent le même accueil. J’entendis pourtant quelques murmures ; mais ils se perdirent au milieu du contentement général. Je sortis du théâtre ; il était neuf heures du soir, la ville de Nantes était calme et même