Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

songé aux immenses avantages que présenterait une voie maritime reliant le centre de leur pays avec les deux mers. Il n’est pas douteux aujourd’hui qu’un canal construit sous les Pharaons[1] n’ait fait communiquer indirectement la Méditerranée et la Mer-Rouge. Après plusieurs vicissitudes et de nombreux siècles d’existence, ce canal fut abandonné définitivement vers l’an 1380, après la conquête de l’Égypte par les califes abassides. Les Égyptiens n’avaient pas songé toutefois à se frayer une voie directe vers la mer en séparant les deux continens. Les conditions du problème n’étaient pas pour eux ce qu’elles sont aujourd’hui : comme nous venons de le dire, il leur suffisait d’ouvrir des routes navigables conduisant du fond de leurs provinces à la Mer-Rouge d’une part, à la Méditerranée de l’autre. En outre leurs plus grands navires, leurs flottes de guerre comme leurs flottes de commerce pouvaient remonter le Nil au moins à certaines époques de l’année. C’est ce fleuve que les Pharaons, les Ptolémées, firent communiquer avec la Mer-Rouge : le canal, partant d’une des branches du Nil au-dessous de la naissance du delta, traversa obliquement le désert pour aller rejoindre cette mer. On voit encore des traces de cet ouvrage au nord-ouest de Suez sur une vingtaine de kilomètres dans le désert, la profondeur de ce canal ne paraît pas avoir été supérieure à celle du Nil ; mais les dimensions ne laissent pas que de frapper l’esprit comme tous les débris de l’antique civilisation de cette contrée. S’il faut même en croire les historiens de l’antiquité, de véritables écluses existèrent sur le parcours du canal, réglant et modérant ainsi les eaux du Nil, dont le canal était probablement rempli[2].

Le problème ne fut sérieusement repris que de nos jours ; toutefois les conditions nouvelles de la navigation en modifiaient les données, et d’ailleurs un bien plus grand résultat était à atteindre. Il s’agissait désormais de frayer une route directe de l’Europe aux mers de l’Asie, entre deux mondes en relation constante l’un avec l’autre. Le Nil n’étant accessible qu’à de petits bâtimens, la pensée d’une communication à travers l’isthme par la ligne la plus courte était la première à laquelle on dut s’arrêter, d’autant mieux qu’indépendamment de son peu de largeur relative le terrain de l’isthme n’est coupé par aucune chaîne de montagnes, et sur la plus grande partie du parcours présente une vaste plaine au niveau de la mer.

  1. Par Sésostris, le principal souverain de la dynastie des Aménophis, qui régna au XVIe siècle avant Jésus-Christ.
  2. Strabon, grande édition, Imprimerie royale, t. Ier, § 33 : « Diodore dit que le deuxième Ptolémée (de 285 à 247 avant Jésus-Christ) acheva le canal. Il pratiqua dans le lieu le plus convenable une sorte de barrière construite avec beaucoup d’art, qui s’ouvrait lorsqu’on voulait faire passer des bâtimens, et se refermait aussitôt, » D’après une seconde opinion, l’eau de la Mer-Rouge, introduite à marée haute, aurait servi à maintenir le niveau du canal.