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Elle n’y semblait que trop disposée. Didier, assez contrarié, ne savait trop à quoi se résoudre. Moitié de gré, moitié de force, elle obtint qu’il se mît à table. Elle était si folâtre, qu’un excellent vin de Pomard y aidant, il finit par s’égayer. Tout en mangeant de grand appétit, elle lui faisait mille agaceries et des questions saugrenues auxquelles elle répondait pour lui. Elle devint sérieuse un moment pour dauber sur Prosper, le traitant de pédant et d’avare, se plaignant qu’il lui rendait la vie amère, la tenait de court, la claquemurait, lui laissait porter des robes fripées. Patience ! elle n’attendait qu’une occasion pour le planter là. — Allons, se disait Didier, l’heure des adieux ne fera pas couler autant de larmes que je le craignais.

Le repas fini, elle jeta son bonnet par-dessus les moulins, se mit à fringuer et à pirouetter comme une folle, brouillant ensemble tous les airs de son répertoire, mimant toute. sorte de rôles avec uue étonnante vérité et s’interrompant pour sommer en vain Didier de venir danser un pas de deux avec elle ; puis, s’étant élancée dans l’alcôve de Prosper, elle en rapporta sa mantille, et, s’encapuchonnant à l’espagnole, elle entonna un boléro de manière à prouver au juge le plus difficile que, lorsqu’elle le voulait, elle savait chanter et faisait des roulades comme un rossignol, après quoi elle se remit à tournoyer autour de Didier avec des yeux enflammés qui tiraient sur lui à brûle-pourpoint. Etant à bonne école, elle avait la cervelle farcie de vers. Elle s’écriait :

Voilà donc ce mortel qui, bravant ma fureur,
A mérité le nom de chevalier sans peur.

Didier sentait que sa tête n’était plus bien à lui. Les œillades de ce diablotin en jupons commençaient à lui échauffer le sang ; il avait le souille court et ne savait trop où il en était. Dans un moment où Garminette, le poing sur la hanche, le regardait dans le blanc .des yeux, il détourna la tête, avisa l’enveloppe du télégramme, qui était restée sur la cheminée. Cette enveloppe le fit souvenir de Prosper, de sa course un peu bizarre à Versailles, de son étrange dépêche, et tout à coup un trait de lumière traversa son esprit, 11 demeura un instant rêveur, tira brusquement de sa poche une poignée de pièces d’or qu’il posa sur la table, se leva, s’approcha de la bibliothèque, en parcourut du regard les rayons, jeta son dévolu sur un volume, — c’étaient les Ruines de Volney, — et, s’étant rassis, il dit à Carminette :

— Assez de gambades, ma chère enfant. Votre chevalier est un peu las. Faites-moi, je vous prie, un bout de lecture. Voici un livre qui ne peut manquer de vous intéresser.

Carminette ouvrit de grands yeux ; éclatant de rire, elle s’em-