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avait de l’ingénuité dans son effronterie. Elle n’eût rien inventé par elle-même, mais elle avait eu d’habiles maîtres qui lui avaient seriné la vie ; sa mémoire étant bonne, elle savait sa leçon sur le bout du doigt. Titania et Carminette ! quel contraste !… La jeune fille devina tant bien que mal l’impression qu’elle produisait, et sourit.

— Mon bon, dit-elle à Prosper, il faut nous en aller. J’intimide monsieur.

— On a vu des héros, dit Prosper, qui se troublaient devant une bergère.

— Ah ! permettez, repartit Didier en se faisant une contenance, je suis un provincial qui vois pour la première fois une étoile. Toutes les nouveautés m’étonnent ; par bonheur mes étonnemens ne durent guère.

— Il a retrouvé sa voix, dit Carminette en essayant un pas de zéphire. Le voilà parti. Tout à l’heure nous aurons un discours… J’aimerais mieux un gloria.

Didier sonna Baptiste, lui commanda de préparer un punch, après quoi Prosper commença en termes pompeux la biographie de Carminette. Cette humble piqueuse de bottines avait été découverte par lui dans un bal public où elle tentait vainement fortune, la plupart des hommes étant trop sots pour soupçonner à la simple vue d’un diamant brut ce que sera le bijou monté. Lui, Prosper, de son œil d’aigle, avait deviné sur-le-champ Carminette et le miraculeux génie qui dormait dans cette tête inculte, comme le feu sommeille dans les veines du caillou. Sans lui, le monde eût à jamais été privé de cette étoile. Il l’avait mise dans ses meubles et s’était chargé de son éducation ; il composait pour elle tout un répertoire de chansons qu’il lui apprenait à chanter et à mimer, lui enseignant en outre les quatre arts libéraux, c’est-à-dire à marcher, à danser, à se coiffer et à rire. Le noviciat de Carminette touchait à son terme ; bientôt Prosper lancerait cette prodigieuse enfant, dont le talent éclaterait comme un coup de foudre sur Paris confondu. Elle était sa fille, son élève, sa découverte, son œuvre, son invention ; il s’était imposé pour elle les plus lourds sacrifices ; elle le paierait au centuple de toutes ses avances. Un immense avenir était promis à cet immense génie.

On a remarqué que tout écrivain a son mot favori, qui revient constamment sous sa plume. Dans telle page de Bossuet, on trouve jusqu’à sept fois le mot grand ; noble était cher à Buffon. Immense était le mot de Prosper. En lui, hors de lui, il n’apercevait que des immensités.

Carminette l’écoutait en silence faire son éloge ; on ne sait ce qu’elle en pensait. Seulement, lorsqu’il parla de ce qu’elle lui