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et une grande marque d’estime : toujours la région des guerres civiles de l’ouest, mais la plus grande ville de cette région au lieu de la plus petite ; les bourgeois de Nantes à gouverner au lieu des paysans de Bressuire. En reconnaissant cette faveur, M. de Barante fut loin de s’en réjouir. « Je suis triste, écrivit-il à Mme de Barante en lui racontant son départ de Napoléonville, triste et bien touché des adieux que je reçois de ce pays ; le chagrin que cause notre départ n’est pas concevable et m’étonne ; chacun m’aborde les larmes aux yeux ; les plus secs et les plus insoucians sont attendris comme des enfans. Ce sentiment, qui m’honore et dont je suis ému, est général ; c’est dans tout le pays et dans toutes les classes ; l’autre jour à Luçon, pendant le conseil de recrutement, chacun disait à voix basse : « Jamais nous n’aurons un homme aussi juste. » C’est une bien douce récompense. Je vous assure, ma chère amie, que c’est mal à moi de quitter des gens qui m’aiment tant ; j’aurais dû demander à rester ici en disant que j’étais plus sûr d’y faire le bien que partout ailleurs. Je lisais l’autre jour que les premiers évêques se faisaient scrupule de changer d’église et regardaient cela comme un adultère. Je suis heureux de ne pas avoir demandé à sortir d’ici ; si j’avais dit une parole pour cela, j’en serais honteux à jamais vis-à-vis de moi-même. Je ne retrouverai pas ailleurs cette bienveillance, cette facilité à obtenir la confiance de tous ; ce n’est pas dans une ville de soixante mille habitans qu’on est connu et apprécié. Dans la Vendée, j’avais journellement des rapports avec tout le monde ; un ouvrier, un paysan trouvait toujours ma porte ouverte ; j’avais le loisir de parler avec lui et de m’occuper de son affaire. A Nantes, je serai forcé de faire le ministre, et je ressemblerai à tous les préfets de France, ici, j’étais comme j’avais rêvé d’être, quand, dans ma jeunesse, j’imaginais mon devoir. »

Il avait raison de regretter sa modeste préfecture de la Vendée. A Nantes il porta le même esprit de sagesse, de douceur, d’équité affectueuse envers ses administrés, de loyauté sans aveugle et trompeuse complaisance envers le pouvoir qu’il servait ; mais son administration dans la Loire-Inférieure, de 1813 à 1814, fut difficile et triste : c’était le temps des périls et des efforts suprêmes du régime impérial, de ses exigences indéfinies et de ses revers pressentis, des sacrifices et des souffrances sans mesure et sans terme qu’il imposait à la France. La modération et la prudence d’un préfet étaient parfaitement vaines pour lutter contre ce courant, comme les rigueurs du gouvernement central et les victoires même de son maître étaient vaines pour le surmonter. Et M. de Barante était engagé dans ce mouvement fatal sans illusion, sans passion, avec une clairvoyance qui datait de loin, et qu’il devait à la constante