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pas, je vous en supplie ; ne faites pas que je sorte d’ici comme un ambassadeur chassé, le deuil au cœur, la rougeur au front.

Oh ! sans doute, je l’avoue devant Dieu, il s’est passé depuis longtemps dans cette église de tristes choses ; mais ce n’est point une raison pour que j’applaudisse au désordre, pour que j’approuve vos séditions. Laissons plutôt tout cela de côté, oublions-le, et vous, cessez vos agitations, rentrez dans le calme, redevenez maîtres de vous-mêmes. Dieu le veut, et c’est aussi le désir de notre très pieux empereur. Il faut en effet obéir aux princes, surtout quand ceux-ci obéissent aux lois de l’église. L’apôtre disait : « Soyez soumis aux princes et aux puissances. » Combien plus encore faut-il l’être quand le prince protége la religion et soutient l’église ! Si donc par ce préambule j’ai préparé vos esprits à écouter favorablement l’ambassade que je vous apporte,… recevez notre frère Sévérien. »

Cet habile et touchant discours, ce nom de Sévérien suspendu jusqu’à la fin comme un mot que l’orateur craint de prononcer et qui doit entraîner ou repousser l’auditoire, tout cela eut l’effet qu’en attendait Chrysostome. L’assemblée tout entière se leva, éclatant en applaudissemens, et ces applaudissemens répétés, universels, montrèrent au pacificateur que la paix était acceptée.

Quand le tumulte fut apaisé, il reprit :

« Je vous rends grâce à présent d’avoir si bien accueilli mes paroles. Vous m’avez donné les fruits de votre soumission, et j’ai le droit de me féliciter d’avoir semé le bon grain. Eh bien ! donc ne perdons point de temps, rassemblons sans délai les gerbes de notre moisson, et que le Seigneur Dieu vous rende le prix de l’obéissance et de la bonté du cœur ! Vous venez d’offrir au ciel la vraie victime de propitiation quand vous avez entendu ce nom sans vous troubler, et qu’à ma voix toutes les fumées de la colère se sont dissipées pour ne laisser voir en vous que la charité. Recevez-le donc les bras ouverts et le cœur calme, libres de tout ressouvenir amer. Aucun germe de dissension ne doit survivre lorsque la paix est conclue, afin qu’il y ait joie au ciel, joie sur la terre, liesse et exaltation spirituelle dans l’église de Dieu. »

Sévérien n’était pas là, sa présence eût tout fait échouer, puisque son nom même n’avait pu être prononcé qu’avec des précautions infinies ; mais il fallait qu’il acceptât cette paix que lui accordait Chrysostome et qu’il vînt à son tour la proclamer devant le peuple. Ce fut le second acte de cette grande scène, et il eut lieu le lendemain dans la même église, devant un auditoire plus nombreux, plus animé, s’il était possible. Le discours de Chrysostome avait été un chef-d’œuvre d’adresse et de persuasion ; celui de Sévérien n’est qu’une amplification de rhéteur, et nous donne l’idée de ce qu’était cette éloquence syrienne, si fleurie, si recherchée, si con-