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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


et se rendit avec eux chez l’archevêque, où il accusa Sévérien d’avoir blasphémé en disant « que le Christ ne s’était pas fait homme. » Les témoins qu’il amenait confirmèrent sa déposition, soit qu’ils supprimassent à dessein le commencement de la phrase qui en déterminait le sens, soit qu’ils n’eussent entendu que la fin. Quel que fût le sens des mots adressés par l’évêque de Gabales à Sérapion, Chrysostome les trouva également coupables. S’il n’avait pas voulu proférer l’impiété dont on l’accusait et affirmer tout simplement que l’incarnation du fils de Dieu était un mensonge, au moins avait-il pris le nom du Sauveur en vain, et profané par un emploi frivole la redoutable formule de nos mystères. De la part d’un prêtre, ce second crime égalait presque le premier, au jugement de Chrysostome. Faisant donc venir Sévérien, il le retrancha de sa communion, lui interdit l’entrée de toutes ses églises, et, au dire des historiens, le condamna à sortir de Constantinople. Cependant le bruit de ce débat ayant transpiré au dehors, des hommes du peuple employés aux affaires de la basilique, principalement les decani ou dizainiers, chargés de l’enterrement des pauvres, répandirent dans le quartier la nouvelle que Sévérien insultait l’archevêque. Il n’en fallut pas davantage pour qu’en quelques minutes une foule ameutée n’accourût vers l’archevêché, comme si les jours de Chrysostome eussent été menacés. En de telles circonstances, Sévérien crut qu’il n’avait rien de mieux à faire que de quitter la ville : gagnant le port précipitamment, il prit une barque et passa à Chalcédoine.

Le temps avait manqué au fugitif pour aviser la cour de son aventure et se placer sous la sauvegarde d’Eudoxie ; mais, informée de tout par ses partisans, l’impératrice adressa de vives plaintes à l’archevêque, ordonnant de plus que Sévérien rentrât sous le plus bref délai à Constantinople. Celui-ci ne se le fit pas dire deux fois et repassa triomphalement le Bosphore. Ce n’était pourtant là qu’une réparation incomplète, car l’interdit ecclésiastique subsistait et ne pouvait être levé que par l’archevêque lui-même. Eudoxie l’en sollicita ardemment à plusieurs reprises ; l’empereur lui-même le demanda, mais sans succès : Chrysostome refusa non-seulement de recevoir le faux ami, l’impie, dans sa communion, mais de lui parler et de le voir. Humiliée de la résistance de ce prêtre, et non moins opiniâtre que lui, l’impératrice prit une de ces résolutions violentes en rapport avec l’impétuosité de son caractère, et elle saisit l’occasion d’une grande fête à l’église des Apôtres pour amener entre elle et son adversaire une scène publique et décisive. Entrée subitement dans la basilique avant le commencement du sacrifice, sans autre suite que le jeune Théodose, porté à bras derrière elle, elle traversa la nef à grands pas, pénétra dans le chœur, et, arrivée en face de l’archevêque assis sur son trône au fond de l’abside, elle déposa