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d’achever, il venait de passer trois mois et demi hors de Constantinople quand il atteignit le Bosphore à Chalcédoine.

Voici ce qui était arrivé dans l’intervalle et ce qui excitait à juste titre l’appréhension de ses amis.

J’ai dit plus haut comment, sur son départ, l’archevêque avait confié le soin de son église à son compatriote Sévérien, évêque de Gabales. Assez renommé sur les bords de l’Oronte pour sa facilité de parole, quoi qu’il eût d’une façon très marquée, en prononçant le grec, l’âpre et dur accent de son pays, ce prélat syrien était venu se faire juger dans la ville impériale, curieux d’en rapporter la double moisson d’argent et de gloire qui était le but de ces prédicateurs ambulans. Depuis que la fortune extraordinaire de Jean d’Antioche avait mis la Syrie à la mode, cette vaniteuse province ne contenait plus ses prétentions ; elle tenait à montrer au reste de l’Orient que Chrysostome n’était pas le seul homme dont elle pût se vanter, et qu’à son défaut l’école de Libanius saurait encore donner à la ville de Constantin des orateurs et des évêques. Une rivalité jalouse s’était donc mise parmi les Syriens, qui se piquaient d’éloquence chrétienne. Ils n’arrivaient pas à Constantinople sans une arrière-pensée d’éclipser l’archevêque. Quelque temps avant l’époque dont nous nous occupons, un certain Antiochus y avait fait applaudir sa belle prestance, sa voix harmonieuse et sonore, une abondance de périodes fleuries dans lesquelles il ne fallait pas trop chercher le fond, mais qui était encore de l’éloquence pour des oreilles habituées au cliquetis de mots des rhéteurs. Aussi Antiochus était-il retourné en Syrie chargé de richesses, et le peuple, dans son enthousiasme, l’avait-il gratifié du même titre que Jean d’Antioche lui-même, celui de Chrysostome ou bouche d’or. Son exemple piqua d’honneur l’évêque de Gabales, qui voulut à son tour débuter dans la grande métropole de l’Orient, et le fit sous le patronage de l’archevêque. C’était un homme plus sérieux que l’autre, plus savant dans les Écritures, plus logique et merveilleusement fait pour l’exégèse, quoiqu’il n’eût pas l’abondance oratoire d’Antiochus, et que le dur accent guttural dont j’ai parlé gâtât parfois les meilleures choses dans sa bouche. En retour du service qu’il recevait de l’archevêque, il affectait pour lui une admiration et un dévouement sans mesure. En réalité pourtant Sévérien n’était qu’un ambitieux corruptible et un rival jaloux.

Il ne fut pas difficile aux adversaires de Chrysostome de circonvenir un tel homme. Le mot d’ordre partit de la cour. On alla l’entendre, on l’applaudit, on le proclama supérieur à l’archevêque, et les courtisans admirèrent sans doute jusqu’aux grâces de sa prononciation syrienne, dont ils eussent fait autrement un objet de ri-