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de quelques grands, et put être protecteur à son tour. Dans cette situation il rendit un service signalé au fils d’Helladius, évêque de Césarée en Cappadoce et exarque de tout le diocèse du Pont. Celui-ci, qui savait son histoire, le fit rentrer dans l’église, l’ordonna prêtre ; puis évêque de Nicomédie, le tout par reconnaissance. Gérontius, élevé si haut, ne négligea rien pour se faire aimer de son clergé et de sa ville. Il y réussit ; mais sa scandaleuse nomination souleva la conscience des Occidentaux. Nectaire régissait alors l’église de Constantinople. Averti par Ambroise, il crut de son devoir de déposer un pareil évêque, et il le somma d’abdiquer de son plein gré pour éviter le jugement canonique. Gérontius s’y refusa impudemment, brava toutes les menaces et continua de porter le bâton épiscopal à Nicomédie, n’épargnant d’ailleurs ni ruse, ni argent, ni même l’assistance de son art comme médecin pour s’enraciner dans l’affection des Nicomédiens.

C’est à un tel homme que Chrysostome vint s’attaquer à son tour. Vainement Gérontius voulut prendre vis-à-vis de lui l’attitude qui avait fait reculer Nectaire. Chrysostome, aussi décidé que son prédécesseur avait été méticuleux et hésitant, déposa le métropolitain de Nicomédie et le remplaça sur-le-champ par le philosophe Pansophius, ancien précepteur de l’impératrice, devenu depuis lors prêtre, puis évêque de Pisidie. Toutefois cette exécution ne fut pas du goût des Nicomédiens ; leur évêque leur convenait, ils crièrent à la tyrannie. On les vit même faire des processions en chantant des litanies, comme dans les temps de peste, de famine, de sécheresse, en un mot de grande calamité publique, pour demander à Dieu le retour de Gérontius. L’opposition alla si loin que ceux d’entre les Nicomédiens qui habitaient Constantinople firent les mêmes démonstrations dans la ville impériale et presque sous les murs du palais d’Arcadius : c’était une protestation solennelle contre l’ingérence de Chrysostome dans les diocèses étrangers.

Tout cela avait passé comme une tempête qui ébranlait jusqu’aux églises que son souffle n’avait point touchées. Une longue agitation suivit cette expédition, courageuse sans doute et inspirée par un zèle dévorant du bien, mais trop précipitée pour produire des fruits durables, et d’ailleurs, il faut bien le dire, faite en dehors des règles consacrées. L’évêque de Rome, dont les empiétemens sur les juridictions particulières des églises indignaient si fort les Orientaux, n’avait jamais rien exécuté de pareil à cette campagne de Chrysostome. On put se demander si, devant l’évêque de la nouvelle Rome comme en face de celui de l’ancienne, il y aurait encore un peu de sauvegarde pour les autres, de liberté pour les clergés, de droit d’élection pour les villes, dès que les décrets canoniques concernant les dépositions et les ordinations épiscopales pouvaient