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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


Le peuple cependant se condensait sous les voûtes du temple et l’office allait commencer, quand on vit paraître de nouveau Eusébius, qui, tenant sa requête à la main, adjura Chrysostome devant l’assemblée d’examiner les faits relatifs à l’évêque d’Éphèse, et de ne point commettre un déni de justice dans une affaire qui intéressait le bien de la religion. Il parlait avec une telle animation, son adjuration était mêlée de sermens si terribles faits sur la tête même de l’empereur, que le public le prit de loin pour un condamné à mort qui suppliait l’archevêque d’intercéder près du prince afin de lui sauver la vie. Cette scène causa dans la basilique un tumulte inexprimable. Pour y mettre fin, l’archevêque s’empara de la requête, et, se sentant d’ailleurs trop ému pour célébrer dignement le sacrifice, il pria Pansophius de Pisidie de le remplacer à l’autel ; puis il fit signe aux évêques du synode de le suivre au baptistère, où Eusébius les accompagna. Là Chrysostome lui reprocha dans les termes les plus vifs l’indiscrétion et la violence de sa conduite, et comme Antonin et les évêques accusés niaient obstinément les faits articulés contre eux : « Tu dois avoir des témoins, dit l’archevêque à Eusébius, car on n’accuse pas ses frères de pareils crimes sans avoir des preuves en main. » — Eusébius répondit que sans doute il produirait des témoins quand il le faudrait, « mais ils sont en Asie, ajouta-t-il. — Va donc les chercher, repartit l’archevêque, et je réunirai un concile pour décider à ton retour entre Antonin et toi. » Eusébius partit, mais ne reparut plus ; ses témoins restèrent aussi invisibles que lui : Antonin, rentré dans ses foyers, avait acheté son silence très chèrement sans doute ; ainsi se passaient les choses dans cette malheureuse église d’Éphèse.

Cependant l’odieux corrupteur mourut laissant les affaires ecclésiastiques de son diocèse dans un entier désarroi. D’autre part, la ville s’occupant de remplacer l’évêque défunt, on vit se produire des compétitions plus éhontées les unes que les autres. L’argent était semé à pleines mains parmi la populace, des partis ardens se formaient, prêts à combattre, et on pouvait craindre une guerre civile. Les magistrats perdaient la tête ; le clergé se demandait quel nouvel Antonin, sorti de ce chaos, achèverait de dévorer le patrimoine ecclésiastique. Au milieu de l’angoisse universelle, le clergé d’Éphèse et quelques évêques voisins tournèrent les yeux vers Chrysostome comme vers un sauveur, et l’archevêque de Constantinople reçut une lettre ainsi conçue :

« Depuis nombre d’années, père vénéré, nous sommes gouvernés contre toute règle et tout droit ; nous te prions donc de vouloir bien te rendre ici, afin que l’église des Éphésiens retrouve par tes soins une forme moins indigne de Dieu. Notre malheur est