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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


cueillie par des murmures, et la colère lui montait au visage, quand Sérapion, se levant de sa place, s’approcha de lui et lui dit d’un ton à être entendu de ceux qui l’entouraient : « Que tardes-tu, évêque ? prends ton bâton spirituel et brise-moi tous ces gens-là du même coup. » Tel était le conseiller le plus écouté de Chrysostome et souvent son porte-parole soit près de ses clercs, soit près des évêques ses collègues. Le diacre Tigrius ne valait pas mieux. Un concile le dénonça comme un des mauvais génies qui troublèrent l’église d’Orient en poussant l’archevêque à des résolutions excessives.

À ce tableau un peu triste de l’entourage de Chrysostome nous en opposerons un plus consolant, celui de ses amies, grandes dames et diaconesses pour la plupart, qui furent pour lui non-seulement des conseillères de paix, mais des appuis inébranlables dans la persécution et des compagnes de martyre. Quatre surtout se distinguèrent entre toutes par l’éminence de leur mérite et la solidité de leur dévouement ; c’était Salvina, Empructa, Pentadia et Olympias, noms vénérés par l’église et enregistrés avec respect par l’histoire. Résumer ici ce qu’on sait d’elles, ce sera élucider peut-être un point historique curieux, celui qui concerne le corps des diaconesses, si puissant aux IVe et Ve siècles de notre ère. On y verra dans quelle classe de la société elles se recrutaient souvent, quelles circonstances pouvaient déterminer leur vocation, et comment il se faisait qu’à Constantinople et à Rome elles acquéraient parfois l’importance de personnages politiques.

Salvina, Maure de naissance et descendante des anciens rois de Numidie, était fille de cet affreux tyran Gildon, qui, après avoir rempli de rapines et de sang l’Afrique romaine, dont Théodose l’avait fait gouverneur, finit par rompre ses liens de sujétion et se séparer de l’empire. Par une précaution dont Rome usait parfois envers ses officiers barbares devenus suspects, Théodose s’était fait livrer Salvina encore adolescente, pour la garder comme otage à sa cour, l’élever à la romaine et lui procurer un mariage patricien qui garantît la fidélité de son père. Théodose en effet ayant de grandes guerres à soutenir en Occident, la conservation de l’Africaine était du plus haut intérêt pour sa cause, car l’Afrique, on le sait, était le grenier de l’Italie. Salvina reçut donc à la cour d’Orient l’éducation d’une grande dame romaine, et quand elle fut en âge de se marier, l’empereur lui donna un époux de sa famille, le propre neveu de l’impératrice sa femme, Nébridius. Il croyait avoir assez fait pour s’attacher le barbare dont il redoutait l’inconstance ; mais cette alliance avec la maison qui gouvernait le monde ne rendit Gildon ni plus civilisé ni plus fidèle. Le grand empereur avait à