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un seul gentilhomme qui y ait pris part. Il n’y a ici de propriétaire important que M. de La Rochejaquelein, frère du héros vendéen et mari de Mme de Lescure, veuve d’un autre chef célèbre. Il est riche, et on a voulu me donner quelque méfiance de lui ; mais il n’a point pris part aux guerres de la Vendée. À cette époque, il était à Saint-Domingue dans l’armée anglaise. Il a peu de relations avec Paris et n’y va presque jamais. Il reçoit peu de monde dans sa demeure de Clisson ; le château a été brûlé et détruit, et il a rendu habitable un bâtiment d’exploitation. Il est aimé de tous ses voisins, et dans ses relations avec eux il n’a point de façons aristocratiques. »

A Bressuire comme à Genève, M. de Barante suivit les instincts de sa nature ; il avait tous les goûts fins et délicats, tous les sentimens élevés et généreux ; partout où il les rencontrait, il allait au-devant et s’y unissait, comme la flamme monte, comme l’eau descend selon sa pente. Les opinions et les habitudes sociales de M. et de Mme de La Rochejacquelein étaient à coup sûr fort différentes de celles de M. Necker et de Mme de Staël ; mais c’était la même atmosphère morale, le même mouvement spontané vers les hauteurs de l’âme et de la vie. « Je me liai, dit-il, d’une amitié sincère avec Mme de La Rochejacquelein ; j’allais sans cesse au château de Clisson, où j’étais reçu avec une bienveillance empressée. Ce fut là que je conçus le projet d’écrire les mémoires de Mme de La Rochejacquelein. Dès mon arrivée dans le pays, je m’étais promis de m’occuper d’une histoire de cette guerre. Elle avait commencé ses mémoires, et les premiers chapitres étaient même rédigés ; elle me les remit ainsi que quelques notes qu’elle avait réunies ; elle me guida dans mes recherches ; elle me fit faire connaissance avec des officiers de cette guerre. Je leur faisais raconter ce qu’ils avaient fait ou vu ; elle-même, avec un charme de vérité qu’elle n’aurait pas su reproduire en écrivant, ne me laissait rien ignorer de tout ce qui s’était passé sous ses yeux, de ce qu’elle avait souffert, du caractère et des actions des chefs auxquels elle tenait par les plus chères affections et qu’elle avait perdus. J’allais sur les lieux et je me faisais montrer par les paysans les champs de bataille, cherchant ainsi à rendre vivans à mes yeux les événemens que je voulais raconter et les hommes que je voulais peindre. Quand je pris la plume, il ne me semblait nullement que ce fût pour une œuvre littéraire ; je transcrivais la vérité selon l’impression qu’elle m’avait fait éprouver. »

C’est bien là le caractère des Mémoires de Mme de La Rochejaquelein, narration à la fois riche et simple, personnelle sans prétention, éloquente sans rhétorique, pittoresque et colorée sans