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blé est maudit du peuple ? » — Tu cours les rues comme l’ennemi des biens de la terre, comme un impie en guerre avec la libéralité du Dieu de tous les hommes, comme un serviteur et un esclave de Mammon ! Ne fallait-il pas arracher ta funeste langue ? ne fallait-il pas étouffer ce cœur qui avait enfanté de si abominables pensées ? Ah ! vous le voyez, la richesse ne permet pas aux hommes de rester hommes ; elle en fait des bêtes et des démons, car qu’y a-t-il de plus odieux qu’un homme riche qui demande à Dieu la famine pour augmenter son or ? Cette passion de l’or produit un effet tout contraire à ses désirs. Au lieu de se réjouir de ce qu’il possède une abondance extraordinaire de blé, il tire de cette abondance même un sujet de douleur. C’est sa richesse qui fait son affliction.

« Si vous voyiez un chef de brigands battre les routes, dresser des embûches aux passans, ravir ce qu’il trouve dans les champs, enfouir l’or et l’argent dans des cavernes et dans des fosses, enlever les troupeaux, les esclaves, les meubles des maisons, le proclameriez-vous heureux à cause de ces richesses qu’il entasse, ou malheureux à cause du supplice qui l’attend ? Eh bien ! voilà le sort des riches et des avares. Ce sont des voleurs qui assiègent les routes, volent les passans, enferment dans leurs champs comme dans des cavernes et des fosses le bien des autres qu’ils ont accumulé. Le voleur peut éviter la peine en s’échappant des mains des hommes, le riche ne trompera pas celles de Dieu. Le riche sera plongé dans l’enfer ; Lazare reposera dans le sein d’Abraham. La sainte Écriture nous l’enseigne : on ne vole pas seulement en enlevant le bien d’autrui, on vole en ne distribuant pas ce qu’on possède. »

Voici le portrait du mauvais riche. « Quoi de plus impudent, de plus éhonté, de plus comparable à la face d’un chien que la face de ce misérable ? et encore un chien est-il plus capable de honte qu’un avare qui arrache le bien de tout le monde ! Ces mains qui salissent tout, cette bouche qui ne se rassasie jamais, sont ce qu’on peut imaginer de plus impur. Le visage d’un mauvais riche, les yeux d’un mauvais riche, ne sont pas le visage et les yeux d’un homme. Cet être ne voit pas les hommes comme des hommes, le ciel comme un ciel, il n’élève pas son regard à Dieu comme au souverain seigneur de toutes choses ; toutes choses pour lui ne sont que de l’or et de l’argent. Quand un regard d’homme tombe sur un pauvre dans l’affliction, le cœur se trouble, des larmes s’échappent des yeux, on sent en soi-même les misères qu’on aperçoit ; mais quand ce riche regarde un pauvre, il n’en devient que plus cruel, et son inhumanité grandit. Un homme ne voit pas le bien des autres comme son propre bien, il voit son propre bien comme celui des