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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

avaient eu beau protester, les conciles lancer l’anathème, les lois civiles elles-mêmes sévir contre ce concubinage des clercs et cette prostitution des vierges, aussi mortels à la discipline que flétrissans pour la religion, l’abus résistait à tous les remèdes, et semblait multiplier ses racines sous les censures mêmes. Le corps des clercs infecté de ce vice formait une conjuration puissante devant laquelle plus d’un évêque et plus d’un docteur s’étaient brisés, témoin Jérôme exilé de Rome pour l’avoir combattu. Chrysostome n’était pas à son début dans cette lutte périlleuse. N’étant encore que diacre d’Antioche, il avait composé deux traités restés fameux, le premier à l’adresse des clercs, le second des vierges qui s’abandonnaient aux désordres de cette fraternité menteuse, et lorsque, devenu évêque, il retrouva dans l’église que Dieu lui confiait la même plaie plus profonde encore et plus envenimée, il saisit le rasoir, suivant une métaphore familière à son biographe et qui probablement venait de lui-même, et se mit à opérer sans pitié comme sans crainte.

Le dur médecin fit comparaître devant lui en particulier tous ceux qu’il savait vivre de la sorte, chassa les uns, réprimanda les autres avec menaces, puis renouvela en commun ses exhortations et ses censures. « Mal pour mal, leur disait-il, je préfère à des clercs tels que vous les entremetteurs de la débauche publique. Ces misérables sont éloignés des remèdes, ils les ignorent, et leur funeste métier les condamne au mal ; mais vous, vous demeurez dans l’officine même de la santé, vous êtes les dispensateurs des remèdes de l’âme, et non-seulement vous vivez dans la corruption, mais vous la semez jusque chez les bons ! » Il disait encore « que les courtisanes étaient moins criminelles à ses yeux que ces fausses sœurs qui se servaient du mot de virginité pour couvrir leurs débauches. » Tels étaient les énergiques discours par lesquels, suivant Palladius, il essayait de faire rougir son clergé pour le ramener à une vie honnête. Ses livres, et principalement les deux traités dont j’ai parlé, nous donnent une idée plus complète de ce que devaient être ces conférences si salutaires à la morale du temps et si curieuses pour l’histoire. Nous en extrairons quelques passages où Chrysostome met à nu les misères du prêtre et la dégradation de la femme sous les liens de cette sorte d’inceste qui portait sa peine avec lui. Par une audace que le but de ses tableaux absout et justifie, il introduit le lecteur dans le ménage même ou cohabitent un clerc et sa sœur agapète, et tour à tour il examine ces deux hypothèses si la femme associée est pauvre ou si elle est riche.

« Entrons, dit-il, dans le logis où ils vivent ensemble et supposons d’abord que la fille soit pauvre. Pauvre, la voilà obligée de travailler de ses mains. Le prêtre est là près d’elle, leur apparte-