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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

l’impératrice. Nous suivrons dans le monde riche et élégant les ramifications de ce parti : l’armée de l’archevêque était ailleurs.

II.

Chrysostome avait alors cinquante-trois ans, et il achevait à peine la troisième année de son épiscopat au moment où s’ouvrent nos récits. Monté sur le premier siége de la chrétienté orientale par la volonté de l’empereur et de son ministre, malgré l’opposition du clergé de la ville et les cabales d’évêques considérables des provinces, il avait eu de rudes débuts, et malheureusement rien en lui n’était fait pour les adoucir. Dire pour expliquer la vie épiscopale d’un tel homme, si courte et si remplie d’angoisses, que le monde persécute les saints et que Dieu le permet afin d’éprouver ses fidèles, c’est ne rien dire absolument, ou c’est entrer dans des considérations mystiques que l’histoire ne nie ni n’affirme parce qu’elles sont en dehors d’elle, et encore faudrait-il expliquer dans ce système comment les fidèles travaillent eux-mêmes à s’attirer les épreuves que leur inflige le monde. Chrysostome vaut bien qu’on l’étudie un peu plus sérieusement, sans que ses souffrances fassent oublier ses fautes, ou que sa sainteté et sa gloire voilent autour de lui la vérité. Que l’église le compte parmi ses saints martyrs, elle en a le droit, car il fut iniquement persécuté ; que la gloire le place au rang de ses plus illustres enfans, ce n’est que justice, car il fut un orateur admirable ; mais l’histoire va chercher l’homme à travers toutes les auréoles. J’essaierai de le faire ici avec tout le respect que méritent de grandes infortunes et une grande mémoire.

Le jour où l’eunuque Eutrope, dans la plus louable des intentions, arracha l’éloquent prêtre d’Antioche à sa vie d’étude et de gloire modeste, pour en faire l’évêque de la seconde Rome, il commit une faute qu’il reconnut bientôt à ses dépens. En face d’une cour frivole et galante qui s’occupait du gouvernement de l’église au milieu des plaisirs, il plaçait le plus intraitable des moines ; en face d’un clergé tout mondain, un anachorète qui n’estimait que le désert ; en face d’une société fière de sa richesse et de son luxe, un homme qui avait la richesse en effroi et poussait à l’extrême l’ostentation de la simplicité. Aussi à peine le nouvel élu était-il installé sur son siége, que la guerre commençait entre lui et ceux qu’il venait gouverner. Sans doute Chrysostome trouvait dans son troupeau bien des plaies saignantes à guérir, mais il ressemblait trop à ces opérateurs hardis qui aiment l’art pour l’art, et abusent du fer et du feu pour extirper un mal sans s’inquiéter beaucoup du