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la gorge du patient, il ne lui fit qu’une légère entaille avec le fil de l’épée, après quoi le comte Jean, plus mort que vif, fut jeté à la porte et conduit en exil au fond de la Thrace. Gaïnas étant mort, le favori reprit sa place au palais, abusa de l’aveuglement d’Arcadius, excita de nouveau la colère du peuple, et dans une émeute d’habitans et de soldats on força sa maison pour le tuer. Averti à temps, il s’évada, courut se cacher dans une maison étrangère, et on prétendit que l’archevêque Jean Chrysostome, qui avait eu connaissance de sa retraite, en indiqua le lieu aux soldats. Ce bruit était, selon toute apparence, calomnieux, car le comte Jean sut échapper encore une fois. Fondé ou non, il arriva aux oreilles de l’impératrice, et, comme on le pense bien, il lui laissa dans le cœur un ressentiment inextinguible.

Rien n’égalait l’aveuglement d’Arcadius, sinon l’ambition effrénée de sa compagne. Non contente d’exercer en fait un pouvoir absolu sur les affaires de l’état, Eudoxie voulut l’exercer en droit. Le 9 janvier de l’année 400, elle se fit décerner le titre d’Augusta, tandis que jusqu’alors elle n’avait porté que celui de nobilissime. Ce n’était pas assez, elle voulut que sa statue fût exposée dans tout l’Orient, à l’instar de celles des empereurs, aux adorations des peuples, et elle la fit promener de province en province dans l’appareil et avec les insignes de la souveraineté. Il existait dans le monde romain des préjugés enracinés contre le gouvernement des femmes, dont on adoptait l’influence et les honneurs comme émanant du césar ou de l’auguste proclamé et reconnu dans les formes légales, mais non comme leur appartenant en propre. Augusta, épouse ou mère d’empereur, n’était qu’un reflet de l’empereur lui-même, et ne pouvait rien revendiquer personnellement dans les pouvoirs ou les honneurs qui lui étaient décernés. L’innovation introduite par Eudoxie émut tout ce qui portait le nom de Romain. On y crut voir la prétention de régner à la manière des reines barbares de l’Orient, Nitocris ou Sémiramis, et de violentes protestations s’élevèrent de tous côtés. Il en vint surtout du domaine d’Occident, où les mœurs repoussaient plus énergiquement qu’en Orient la domination des femmes, et Honorius crut devoir faire connaître à son frère son mécontentement, ainsi que la plainte unanime du sénat de Rome et de l’Italie. Eudoxie persista, et Arcadius brava tout pour elle.

Si absolu que fût devenu depuis la mort d’Eutrope l’empire d’Eudoxie sur l’esprit de son mari, il y laissait encore place pour un autre sentiment, la peur de l’archevêque. Ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, Arcadius, sincèrement religieux, craignait par-dessus tout de se brouiller avec l’église, puis le caractère de Chrysostome