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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.

franchi la virilité pour passer sans transition d’une enfance à l’autre. Deux choses le tiraient pourtant de son hébétement ou de ses innocentes occupations de calligraphie, dans lesquelles il excellait, c’était une atteinte portée à l’honneur de l’impératrice ou la crainte de se brouiller avec l’église. Il entrait alors dans des emportemens furieux comme le jour où il avait voulu tuer son précepteur pour l’avoir puni. Sauf ces soubresauts, il vivait dans une tranquille absorption en lui-même, insoucieux et ignorant de ce qui se faisait dans sa maison comme dans son empire, crédule d’ailleurs et dissimulé, en tout point un digne élève des eunuques.

Avec un tel mari, au milieu d’une cour corrompue, Eudoxie, sans guide, sans expérience, avait bientôt cédé au goût des plaisirs, tout nouveaux pour elle, ou plutôt elle s’y était précipitée avec ces instincts impétueux que les contemporains qualifiaient de férocité barbare. Sa réputation en souffrit grandement, et la mort d’Eutrope arrêta peut-être à temps des révélations qui l’eussent perdue près de son époux. Le favori en titre était alors un certain comte Jean, intime confident d’Arcadius dans l’administration des affaires publiques et probablement le ministre secret par les mains duquel l’impératrice tenait les rênes du prince et de l’empire. Leur liaison dura plusieurs années, et avec si peu de retenue que, lorsqu’en 401 Eudoxie mit au monde un quatrième enfant, qui fut Théodose II, la malignité publique salua le jeune prince du titre de « fils du comte Jean, » et l’écho de ces bruits scandaleux a été recueilli par l’histoire.

Sans s’intéresser plus que de raison à l’empereur Arcadius, le peuple s’était ému de ce déshonneur infligé à la maison de Théodose, et plusieurs fois, dans les émeutes qui agitèrent Constantinople à cette époque, on demanda la tête du comte Jean. Une des exigences du Goth Gaïnas, lors de sa fameuse révolte de l’année 399 qui mit la ville impériale à deux doigts de sa ruine, fut l’extradition de trois officiers du palais au nombre desquels était le favori, que l’empereur livra d’ailleurs sans grand scrupule. On ne doutait point que ce ne fût le livrer à la mort ; mais Gaïnas se contenta vis à vis de son prisonnier d’une de ces terribles plaisanteries que se permettaient parfois vis-à-vis des Romains les généraux barbares en gaîté. Ayant fait comparaître le comte Jean dans sa tente, où se trouvait en guise de bourreau un soldat armé du glaive et à quelques pas de là un billot, il lui ordonna d’une voix menaçante de se préparer à la mort. Celui-ci s’agenouilla sans mot dire, posa sa tête sur le billot, et Gaïnas donna le signal de frapper. Le soldat, qui avait reçu sa consigne, baissa le bras avec effort, comme pour trancher la tête d’un seul coup ; mais, arrivé tout près de