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d’action le prince et le peuple, la cour et la ville, les classes pauvres en révolte contre les classes riches ; elle divisa l’épiscopat ; faillit armer les deux moitiés du monde romain l’une contre l’autre et menaça la chrétienté d’un long schisme. J’ai choisi cette lutte comme sujet d’une étude des mœurs chrétiennes en Orient au IVe siècle. Dans une autre étude, j’ai essayé de peindre la société chrétienne d’Occident autour de saint Jérôme, moine, théologien, écrivain polémiste ; je ferai voir, en la personne de saint Jean Chrysostome, l’évêque politique, et autour de lui les partis religieux, les mœurs, les passions de la société orientale.

I.

Au moment où commencent nos récits, c’est-à-dire à la fin de l’année 399, Eudoxie, impératrice depuis quatre ans, était encore dans toute la fleur de la jeunesse. Elle n’avait rien perdu de cette éclatante beauté qui surprit le cœur d’Arcadius le jour où le jeune empereur aperçut son portrait peint sur une tablette de cire que l’eunuque avait glissée à dessein dans la chambre impériale, mais beaucoup de changemens indépendans de la beauté s’étaient accomplis en elle. La fille du frank Bauto n’était plus cette orpheline modeste et retenue qu’Eutrope était allé déterrer dans un coin obscur de Constantinople comme un trésor caché à tous les regards, et qu’il avait fallu arracher aux graves leçons du philosophe Pansophius, son précepteur, pour la faire monter sur un trône. L’orpheline ignorante du monde était devenue fière, hardie, insatiable de plaisirs et de faste ; la jeune fille pauvre était devenue avide d’argent. L’habitude de la domination dans une cour d’eunuques et de flatteurs avait même développé chez cette descendante des Franks je ne sais quoi d’âpre et de cruel, et, pour me servir du mot d’un contemporain, quelque chose de la « férocité barbare » qui coulait dans ses veines avec son sang. L’ennui de son mariage ou plutôt de son mari avait du reste marché de pair dans son âme avec les infatuations de la grandeur.

Des deux fils de Théodose, ces indignes enfans d’un grand prince, Arcadius, l’aîné, était le plus honnête et le moins intelligent. Exempt des vices et du caractère violent de son frère Honorius, il n’avait pas non plus son énergie ; sa vie s’écoulait dans une somnolence maladive qui répondait à l’hébétement de son esprit, étranger à toute occupation sérieuse et façonné à l’obéissance sous ses chambellans d’abord, puis sous ses ministres et sa femme, qui pensaient et voulaient pour lui. À moins de trente ans, Arcadius donnait des signes d’une décrépitude précoce ; on eût dit qu’il avait