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désormais à son poste, l’œil clair, la main ferme, jour et nuit, sans dormir, sans se plaindre de la chaleur ou du froid, sans s’abandonner à des rêveries, et ce qui est encore plus important, sans qu’il songe jamais à fabriquer des observations imaginaires qui le dispenseront de veiller. Parmi les documens météorologiques qui figurent sur les rayons des bibliothèques sous la forme de majestueux in-quarto, il y en a dont l’origine n’est pas exempte de toute suspicion : ainsi les invalides que l’on charge de noter l’état du temps dans les forts russes ne passent, pas en général pour des observateurs bien scrupuleux. Or on comprend combien l’existence de ces documens apocryphes doit embrouiller et entraver les recherches déjà si pénibles auxquelles sont condamnés les météorologistes.

Ce ne sont pas là les seules raisons qui doivent faire désirer l’emploi général des appareils enregistreurs : il est une dernière considération d’une importance vraiment très grande qui porte à en recommander l’introduction dans les observatoires. Une quantité énorme de documens déjà publiés est perdue pour le progrès de la science uniquement à cause de la confusion des mesures. Dans les tableaux météorologiques, le centimètre se heurte contre le pouce anglais, et l’ancien pied du roi contre la toise ; les degrés Fahrenheit alternent avec les degrés Réaumur, que les Allemands ont adoptés quand on retournait en France aux degrés centigrades ; la chaleur, l’humidité, le poids de l’atmosphère, la quantité de pluie tombée, tout cela se mesure de tant de manières différentes qu’il faut un certain courage pour dépouiller et confronter les documens publiés en différentes langues. Or l’introduction du nouveau système d’observations fournirait l’occasion propice de faire disparaître ce grand obstacle du progrès en établissant des échelles uniformes pour tous les instrumens dont les indications seraient désormais enregistrées d’une manière mécanique. Les phénomènes divers qui intéressent les météorologistes se trouveraient alors représentés par des courbes dont la signification serait immédiatement claire pour tous les yeux : un simple coup d’œil ferait reconnaître les variations de la température et de la pression barométrique, la rotation des vents, l’humidité changeante de l’air, les pluies qui ont arrosé le sol, l’évaporation qui les a ramenées aux nuages, et tous ces petits événemens dont l’ensemble produit le temps, sans calcul d’aucune sorte et sans conversion préalable d’un tableau numérique en mesures familières à celui qui le consulte. N’est-ce pas une admirable chose que de penser qu’on pourrait jour et nuit surveiller les météores aériens en des stations disséminées sur toute la surface du globe par le moyen de ces serviteurs fidèles et dociles qui s’appellent des machines ; qu’il suffirait d’en parcourir les rapports quotidiens, d’en confronter les écritures minutieuses et délicates, pour saisir le lien intime et l’influence réciproque des variations que le temps subit en chaque lieu ? Si l’on veut résoudre les grands problèmes, il faut recourir aux grands moyens.