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l’orchestre de M. Costa, c’est le premier orchestre du monde. Nous avons ici même, lors des premières représentations de l’Africaine à Londres, exposé les raisons de cette supériorité, qui paraîtrait grandir encore dans l’exécution du nouvel ouvrage de M. Verdi. Pour ne pas être en reste, Her Majesty’s fait débuter Mlle Nilsson dans la Traviata. Après le brindisi du premier acte, ce n’était plus un succès, c’était un triomphe. A Covent-Garden, Don Carlos sera immédiatement suivi de Roméo et Juliette, dont sans doute la Patti fera la fortune. Si d’autres en écrivant eurent les yeux fixés sur la postérité, M. Gounod compose beaucoup en vue de l’étranger, où se trouve ainsi sa base d’opération. Il se peut que les Marguerite et les Juliette soient rares à Paris, que les Faust et les Roméo n’abondent guère sur la place ; mais l’habile musicien sait bien que, tant qu’il y aura au monde une Allemagne, une Italie, ces types charmans et divins revivront. Derrière Mme Miolan, on pressent la Lucca, la Patti ; au-delà de M. Michot, on voit Naudin. Les Roméo étant de saison à Londres, Her Majesty’s voulait avoir le sien. Rien de plus facile. On avait sous la main les Amans de Vérone du marquis d’Ivry. Malheureusement la partition n’est pas tout entière instrumentée, et la concurrence ne sait pas attendre. Voilà une belle chance perdue pour un ouvrage à coup sûr digne d’intérêt. Je doute que l’occasion se représente ; dans tous les cas, on peut compter que ce ne sera point à Paris. Essayer les jeunes compositeurs, pourquoi faire ? Ne vaut-il pas mieux crier partout qu’il ne s’en forme plus ?

Renommée, ton nom est désuétude ! Un talent s’impose au public par l’ennui. On bâille, mais on écoute. Voyez le succès de Mignon. Avoir trente années durant lassé son monde à l’Opéra-Comique est le meilleur titre pour que l’Opéra vous recherche. Quand on manque de pain, il faut bien se nourrir de brioches. Est-ce donc vrai qu’il y ait disette à ce point ? Il semble que maint exemple prouverait le contraire. L’état met au concours la cantate de l’exposition, et tout aussitôt il pleut des cantates, Jusque-là rien que de très naturel ; ce qui l’est moins, c’est que dans le nombre les choses remarquables abondent. Sur près de deux cents pièces, le triage en a facilement dégagé une douzaine parmi lesquelles il n’y avait que l’embarras du choix. Restait à décerner le prix. Quatre de ces cantates sont mises par le jury hors de page ; quatre œuvres également supérieures à divers titres. L’une plus mélodique, l’autre plus savamment instrumentée, celle-ci écrite dans le goût de Haendel, celle-là d’un style tout moderne et qui, mieux appropriée à la voix, l’emporterait. On examine, on tient conseil, enfin la cantate à la manière de Haendel arrive première. Quel en sera l’auteur ? Ici l’émotion gagne les membres du jury ; c’est plus que de la curiosité, c’est du patriotisme. Sous tant de science, M. Auber flaire un Allemand, et son orgueil national s’en incommode. On brise le cachet, ô surprise ! l’œuvre est signée Camille Saint-Saens et tout le monde s’en réjouit, s’en étonne. Un coup du