Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourrait aussi bien dire qu’il y manque de tout. Du côté des femmes, plus d’un vide s’est fait également qu’on n’a pas comblé. Dans ce joli rôle de Prascovia par exemple, comment ne pas songer à Mlle Lefebvre, comédienne d’un talent si délicat, si fin, qui savait donner son expression exquise à ce lied charmant du troisième acte, un bijou qu’à présent on remarque à peine ? L’étoile de cette reprise est encore Mme Cabel. Caroroline Duprez fut la première Catherine, puis vint Mme Cabel, puis Mme Ugalde. Des trois, Caroline Duprez fut celle qui rendit le mieux cette musique, posant et nuançant la phrase, cherchant le style qui s’y trouve. Sa voix alors déjà n’était qu’un souffle ; n’importe, ce souffle musical suffisait, et jamais l’admirable phrase de l’adieu à la fin du premier acte ne plana d’un vol plus libre au-dessus des harpes. Mme Cabel prend le rôle par ses petits côtés, on dirait une Déjazet ; mais l’agilité de sa voix reste ce qu’elle était, un phénomène. Au dénoûment, dans le combat qu’elle soutient avec la flûte, on peut s’attendre à des prodiges d’autant plus singuliers que l’art n’y contribue en rien. C’est une des curiosités de notre temps que cette voix, et en ce sens je la recommande aux amateurs de tous les pays attirés par l’exposition sur les terres de l’Opéra-Comique. Pour peu qu’on ait quelque habitude de l’art du chant, on aura remarqué que les voix les plus agiles sont presque toujours aussi les plus dépourvues de timbre et d’éclat, les longues études ayant pour inconvénient d’ôter sa fleur de sonorité à l’organe qu’elles assouplissent, C’étaient des voix très flexibles que celles de Mme Damoreau et de la Persiani, c’est une voix très flexible que celle de Mme Carvalho ; mais il faut convenir en même temps que ce n’est ni par la vibration ni par la franchise qu’elles ont jamais brillé. Chez Mme Cabel au contraire se trouvent réunies des qualités qui d’ordinaire semblent s’exclure, une souplesse, une agilité des plus rares, jointe à la plus agréable fraîcheur de timbre. Le temps ici, chose particulière, sans trop avoir épargné la femme, semblerait vouloir respecter la voix. — Somme toute, cette reprise de l’Étoile du Nord, telle qu’elle vient de se produire, offre encore mainte partie intéressante. Ainsi le côté musical du rôle de Danilowitz n’avait jamais été mis en lumière comme il l’est par M. Capoul, qui chante avec le goût et le style d’un Italien l’air ajouté à Londres pour Gardoni.

On a quelque peine à se figurer, en présence du mouvement extraordinaire auquel nous assistons chez nous en ce moment, qu’il puisse y avoir un public pour les théâtres des autres pays. À Londres cependant, la saison va son train de manière à faire croire que l’Angleterre n’est pas tout entière sur le continent. On joue Don Carlos à Covent-Garden : c’est un succès. La Lucca chante le rôle de la reine Elisabeth, M. Graziani celui du marquis de Posa, et M. Naudin, que l’Académie impériale a peut-être eu tort de laisser partir, prête au personnage du jeune prince sa voix et son talent, dont le chant italien double le charme. Quant à