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figurer à l’entrée du quatrième acte des Huguenots, et fut supprimé aux répétitions. Si la chose est vraie, il n’y aurait plus à s’étonner du contresens. Valentine et Pierre Ier ne sauraient guère chanter sur le même air. Du reste Meyerbeer ne s’interdit jamais ces sortes de remaniemens. Pour peu que l’occasion s’en présentât, il reprenait son bien, utilisait ; — ses opéras-comiques abondent en exemples de ce genre. On sait l’anecdote que raconte le prince Poniatowski. Le prince chantonnait au piano des motifs dEmma di Resburgo. « Ah ! dit Meyerbeer légèrement interloqué, vous connaissez donc ces péchés de jeunesse ? Eh bien ! alors, cher confrère, puisque vous me jouez le mauvais tour de savoir par cœur mes opéras italiens, j’espère que vous ne vous scandaliserez pas trop haut en reconnaissant au passage les morceaux que j’ai fait resservir dans le Pardon ! »

Ce qui me gâte le troisième acte de l’Étoile du Nord, c’est justement ce trop industrieux rhabillage. Nous rentrons au camp de Silésie pour n’en plus sortir, et tout cela finit par un air de flûte. Qu’est devenu le barbare du nord, où le chercher ? Il a disparu dans la tempête du grand finale. Ainsi passent les majestés : des fanfares, des hourras, des canonnades, des illuminations et des feux d’artifice, puis rien, plus personne, un bruit de flûte dans le vide, un trille, une note perdue : e finita la musica, la farce est jouée. N’importe, c’est encore un fier ouvrage que celui-là. Si la cohésion manque, pièces et morceaux en sont bons.

L’Étoile du Nord fut représentée pour la première fois en février 1854, Des treize années qui viennent de passer sur elle, la musique de Meyerbeer semble n’avoir reçu aucune atteinte. Si cette vigoureuse partition reste debout avec ses grandeurs et ses défauts, son manque de proportion, d’où par instans beaucoup d’ennui résulte, et ses épisodes typiques, où le maître égale en pittoresque musical le tableau poétique du camp de Wallenstein dans Schiller, — on n’en peut dire autant de l’exécution, qui certes a rudement souffert. On n’a point oublié quelle fut cette distribution des premiers jours, où figurèrent tour à tour M. Charles Battaille et M. Faure dans le rôle du tsar, qui trouva ainsi dès le début, pour se produire sous son double aspect dramatique et vocal, un comédien intelligent et le jeune chanteur qui s’en est allé depuis à l’Académie impériale tenir si brillamment les promesses faites à l’Opéra-Comique. La voix de M. Faure a laissé là des souvenirs très vifs. On le regrette d’autant plus que cette fois le baryton eût rencontré un ténor digne de lui dans M. Capoul chantant Danilowitz. Que de belles choses jadis en relief et maintenant perdues ! Cette grande scène d’orgie sous la tente reste aujourd’hui sans effet ; je me demande ce que sont devenues ces phrases d’un tour si varié, si profond, où le maître, tantôt enjoué, tantôt pathétique, ramène l’idée de Catherine au plein de ce chaos bachique. M. Eugène Battaille, à qui les circonstances ont imposé ce rôle, n’en a ni la voix ni le mouvement ; il y manque absolument d’autorité. On