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C’est par ce côté farouche que Meyerbeer a pris le héros. L’affreux tic qui lui démontait le visage — dès l’introduction fait des siennes. La colère sombre et livide, çà et là des éclairs magnanimes noyés dans le vin et l’eau-de-vie : chopine et pinte, et tout à coup de cette ignoble orgie le héros s’éveillent au milieu des hourras et de la canonnade, des drapeaux qui se déploient et des tambours qui battent aux champs, Voilà pour les deux premiers actes. Le grand finale surtout est un chef-d’œuvre. Jamais l’art de gouverner des masses ne fut porté plus loin : « les tons, les modes différens s’accumulent, se superposent dans le travail de l’orchestre, des chœurs, des saxophones, des fifres, les uns en si bémol majeur, les autres en mi bémol, ceux-là en ré mineur, et tous marchant dans l’harmonie d’un magnifique ensemble. Les gens naïfs s’écrient : Produire de tels effets avec de si vastes moyens, quoi de plus facile ? Comment alors se fait-il que les autres musiciens n’y réussissent pas ? Verdi emploie les mêmes ressources dans don Carlos ; un seul orchestre ne lui suffisant point, il en met deux, et après ? Sans être un bien grand sorcier, M. Gounod sait son affaire ; que voyons-nous, qu’entendons-nous qu’il ait produit dans les fanfares nuptiales de son Roméo et Juliette ? Mener un grand vacarme avec des Saxophones, chacun le peut ; mais se mouvoir pendant la moitié d’un acte à travers les plus inextricables difficultés de la science, dans ce conflit extraordinaire de voix et d’instrumens ne pas perdre de vue une seconde le mouvement dramatique, le caractère des personnages, intéresser, entraîner le public par cette chose prestigieuse qu’on appelle l’effet et satisfaire du même coup le connaisseur, — ramener sous une même harmonie formidable, écrasante, la marche sacrée et le chœur du serment, la fanfare des cuivres et la marche des fifres, relever l’addition d’une main imperturbable, grouper, dynamiser tous ces chiffres dans un immense total organique, écrire en un mot le finale du second acte de l’Étoile du Nord, ce finale-maître, — là est la question, et pour la résoudre il faut se nommer Meyerbeer.

Au troisième acte, le tsar Pierre tourne au sentimental, roucoule des romances et s’évanouit en airs de flûte : dormitat Homerus. Soit que le temps lui ait manqué pour compléter son type, soit que l’influence énervante de Scribe le rappelle au genre, à l’opéra comique français, pour lequel en dernière analyse, ce vigoureux génie n’était point fait, Meyerbeer quitte la partie ; adieu l’histoire ! nous n’avons plus devant nous qu’un baryton. Autrefois, au temps de M. Faure, le public prenait le mal en patience. La virtuosité du chanteur, vous faisait oublier la défaillance du maître. On a compris que cette défaillance ne se trahit du reste que d’une façon toute relative et dans l’étude du caractère ; comme valeur musicale, rien n’est à dédaigner, pas même cette romance si parfaitement en désaccord avec le tempérament du personnage, mais dont la voix de M. Faure, déjà formée au style à cette époque, excellait à rendre, à phraser le motif. Je ne sais où j’ai lu dernièrement que ce morceau devait dans le principe