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à Paris ? Saint-Simon ne nous le dit point, et pourtant on aimerait à le savoir. Les têtes couronnées n’exercent pas seulement leur prestige sur le moment, la postérité se tourne aussi vers elles pour leur demander des sujets d’édification en morale, de grands exemples en matière de goût. Que fit l’autocrate moscovite ? A quel théâtre tout d’abord courut-il ? Sur ce point, les renseignemens nous manquent ; du moins l’avenir, sera plus heureux : le temps où nous vivons tient note de tout, et si les Saint-Simon sont plus rares, nul trait de mœurs ne passe inaperçu. À cette époque si décriée de la régence, le Théâtre-Français occupait dans la hiérarchie littéraire de notre pays une place à peu près égale à celle que nous attribuons aujourd’hui à si juste titre au théâtre des Variétés. On se plaît donc à se figurer, dans le silence de l’histoire, le tsar Pierre assis au Théâtre-Français et se faisant jouer Cinna ou le Misanthrope. Il est possible, tranchons le mot, que ce spectacle l’ennuie un peu, que sa rude oreille, faite au bruit des chantiers de Saardam, n’ait qu’un sens médiocre pour les sublimités et les élégances de ce beau langage ; mais le tsar connaît son métier de souverain, il sait que les rois et les empereurs ne sont point là pour s’amuser toujours, et cet instinct de l’étiquette, qu’on retrouve chez les princes même les plus barbares, lui dit que dans la France de Louis XIV Corneille, Racine et Molière doivent avoir le pas sur Tabarin.

Durant les trois mois que se prolongea le séjour à Paris du tsar Pierre, il y eut naturellement à l’Opéra gala-theater. Les souverains de tous les siècles ont fort goûté ces soirées d’apparat, qui leur procurent le double plaisir devoir et d’être vus, de jouir en même temps du spectacle à l’état objectif et subjectif. Je demande pardon de l’expression, quoique nous ayons encore assez de Prussiens à Paris pour qu’on puisse se le permettre. Cette fois néanmoins l’illustre visiteur ne se montra guère à son avantage. Pendant qu’il buvait dans sa loge, le Moscovite n’eut pas l’air de s’apercevoir que le régent, debout à son côté, tenait un plateau portant un verre de bière et une serviette. Une pareille inconvenance devant un parterre français, c’était raide, comme on dirait au Gymnase ; le public en prit de la mauvaise humeur. Quant à Saint-Simon, nous ne voyons pas que la chose l’ait autrement offusqué. Ce grand seigneur, si prompt à s’enflammer sur la moindre question de préséance lorsqu’il s’agit d’un fait personnel, ne trouve pas un mouvement, d’indignation à propos de cette impertinence calculée vis-à-vis d’un premier prince du sang, du régent de France. A la vérité, la façon dont il traite et pourtraict le tsar est en général médiocrement sympathique. « Les lèvres assez grosses, le teint rougeâtre et brun, le regard majestueux et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère et farouche, avec un tic qui ne revenait pas souvent, mais qui lui démontait les yeux et toute la physionomie, et qui donnait de la frayeur ; cela durait un moment avec un regard égaré et terrible. »