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autant de soin que d’autres peuvent mettre à produire la leur. On doit avouer que par instans le jeu lui réussissait plus qu’il n’eût fallu.

Bien loin d’être un ignorant, Bellini connaissait les maîtres, et mainte réminiscence voulue témoignerait de l’habitude qu’il avait de fréquenter Beethoven. « Nous autres compositeurs italiens, disait-il, nous savons que nos œuvres n’ont rien à démêler avec la postérité : c’est assez pour nous de plaire à nos contemporains, destinés que nous sommes, dans le cas contraire, à mourir de faim. Que m’importe que mes ouvrages fissent fortune près des générations à venir ? Être martyr de son génie me semble une existence sans attrait, » et il ajoutait avec quelque ironie : « Est-on bien sûr d’ailleurs que ces grands maîtres, toujours mis en avant, n’aient travaillé qu’en vue de la gloire future ? Ce Mozart que j’admire et que j’aime avec passion, l’immortel Mozart lui-même, a-t-il donc toujours si peu tenu compte de ses chanteurs et de son public ? » Les écoles française et allemande, Bellini les connaissait ; tout en gardant sa nationalité, il a fort bien su rendre dans le troisième acte de son Roméo les sinistres pressentimens du sépulcre, dans Norma la terreur sacrée des antiques forêts. Si ce n’est point la vérité dramatique tout entière c’en est toujours une partie intéressante ; Bellini, quoi qu’il fasse, reste Italien, et n’accuse dans sa peinture que des traits généraux de sa nation. S’il peint un amant jaloux et furieux, c’est la jalousie et la fureur d’un Italien, ses jeunes filles sont des amoureuses italiennes ; mais dans l’expression des sentimens il va plus loin que la plupart de ses compatriotes. Ce mélange de cantabile et de bravowre, ces temps larges, ces intervalles que remplissent les chœurs, tout cela est combiné pour le chanteur, dont la virtuosité partout et toujours doit prévaloir. Prenons pour exemple dans la cavatine d’Amina de la Somnambule l’accompagnement de la première période. Qu’est-ce que cela dit, qu’est-ce que cela veut peindre ? Est-il possible de rien entendre de plus insignifiant, de plus plat ? Non certes, mais de ce fonds banal le musicien va faire sortir sa phrase mélodique :

Come per me sereno,


point lumineux sur lequel toute l’attention du public doit se concentrer. Cette phrase ne produira tout son effet qu’à la condition d’être annoncée, préparée par un moment d’attente que le compositeur prolonge à son gré, tirant son moyen de contraste de la platitude même de l’accompagnement. Je n’excuse point cet art, je le raconte. Élever le public jusqu’à soi, ne point faire de concession, noble tâche, mais combien pénible et dangereuse ! Bellini suit un chemin plus modeste, tout le monde lui fait la loi, le public d’abord, ses chanteurs ensuite. Cependant son style, quand on y regarde de près, n’est point si niais qu’il en a l’air ; cela vit par la passion, et puis c’est clair, saisissable à première vue, car