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qu’à défaut de vraisemblance, de couleur, vous offrent l’intérêt du sentiment, de la passion. Pour rendre ces situations en quelque sorte traditionnelles, diverses formes sont là de tout temps : l’air, le duo, le trio, le morceau d’ensemble, le finale, tout cela entremêlé de figures accessoires et de chœurs ayant pour mission d’occuper la scène pendant que le chanteur reprend haleine. Il ne s’agit point d’inventer du nouveau, il s’agit d’employer avantageusement les anciennes formes, de plaire au public, de réussir avec ce qu’on a sous la main. Tous les opéras de Bellini procèdent de ce système : une mélodie symétrique sur une strophe symétrique. Comme Métastase écrivait ses vers, Romani distribue les siens ; ainsi du compositeur, lequel ne reconnaît qu’un principe, le chant, et s’en remet à ce suprême et unique agent du soin d’exprimer tout, les sentimens et les situations. Je ne parle pas des caractères, on comprend qu’une telle poétique ignore absolument cet art d’individualiser les personnages dont les Mozart, les Weber, savent si bien tirer profit. D’ailleurs Bellini écrit pour des Italiens, et cet art, son public ne le lui demande pas. L’orchestre de Bellini n’a qu’une affaire, accompagner le chanteur, le soutenir dans l’énoncé de sa période. Des accords de violon avec un trait de basse legato ou pizzicato sur l’accord principal, il ne sort pas de là, néglige les instrumens à vent, si utiles pour combler les vides, des cors ou des bassons, si propres aux demi-teintes, il ne veut rien savoir. Sa manière d’employer les altos a néanmoins parfois un grand attrait ; mais, comme il en abuse, l’effet tourne à la monotonie et devient parfois assommant. Et pourtant dans la Somnambule, Norma, les Puritains, certains ensembles, certains finales sont très habilement conduits. Il s’entend aux contrastes, pousse ou ralentit son orchestre, qui jamais ne cesse d’exprimer la passion du chanteur, mais en s’y subordonnant, toujours contenu, modéré jusque dans ses colères. Les tempêtes ici grondent sourdement et piano, se gardant bien d’étouffer la voix qui plane et règne au-dessus, quelles que soient les tourmentes instrumentales. Si le flot monte, envahit, couvre tout, c’est seulement sur les dernières mesures d’une phrase plusieurs fois répétée, et que vous continuez en quelque sorte d’entendre même alors qu’elle a disparu. On a beaucoup parlé de l’ignorance de Bellini ; plusieurs s’écrient : Il ne sait pas, ne procède que d’instinct. Erreur, le chantre de la Somnambule avait au contraire longtemps fréquenté l’école, et possédait en matière de fugue et de contre-point des connaissances très pratiques. D’autre part, il faisait très difficilement ses mélodies, en apparence si faciles. Il retouchait sa phrase avant de la transcrire en partition, polissait et repolissait ; la mélodie trouvée, le reste lui venait par surcroît : les chœurs, les accompagnemens naissaient d’eux-mêmes et selon la formule. Bellini n’avait d’application que de ce côté ; mais on s’est trop hâté d’attribuer au manque d’études les indolences de son style. Rossini parle de lui comme d’un homme au fond très informé, et qui mettait à cacher sa science