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Enfin j’ajouterai que, sous la restauration, ce même pape Pie VII donna pendant quelque temps à Rome un généreux asile au prince Jérôme, errant et proscrit, et prodigua à ma mère, quoique protestante, les marques d’une estime et même d’une affection toute particulière dont j’aime à me souvenir. En agissant ainsi, peut-on croire qu’il fût encore sous l’empire des préoccupations que lui avait inspirées la lettre de juin 1805 sur la validité canonique du mariage de Baltimore ? C’est ce que personne n’a jamais soutenu, pas même le célèbre avocat de la légitimité que j’ai eu pour adversaire devant les différentes juridictions dans toutes les phases de cette longue affaire, et dont les éloquentes plaidoiries ont visiblement influencé les jugemens de M. d’Haussonville.

J’aurais désiré borner la rectification contenue dans cette lettre au sujet qui intéresse directement la mémoire de mon père ; mais au moment de la terminer je ne puis me décider à laisser passer sans protestation : l’étrange tableau que l’auteur de l’article trace de l’intérieur de la famille Napoléon en 1804 et 1805.

Les rapports de l’empereur avec ses trois frères, Joseph, Lucien et Louis, y sont présentés sous le jour le plus odieux. Ici, c’est Napoléon : qui dit « que Lucien est capable de l’assassiner, mais qu’il a meilleure opinion de Joseph ; » là l’empereur tient le discours suivant, digne d’un tyran de mélodrame : « Vous n’avez rien à craindre de moi ; je ne suis pas le tyran de ma famille. Jamais je ne commettrai de crime, puisque je n’en ai pas commis pour me séparer de ma femme, pour faire un divorce qui avait été résolu dans ma tête jusqu’à mon voyage en Normandie et en Belgique, où j’ai pu connaître ; la bassesse des Français ; et m’assurer qu’il n’était pas nécessaire d’en venir là pour obtenir de leur servilité tout ce que je voulais en exiger. » Voilà les paroles que l’on met dans la bouche de l’homme qui, plus qu’aucun chef de nation qui ait paru dans le monde, a mis son orgueil à confondre sa propre grandeur avec celle du peuple qu’il représentait ! Plus loin, on montre l’empereur saisissant le prince Louis par le milieu du corps, et le jetant avec la plus grande violence hors de son appartement. Partout enfin nous lisons les plus outrageantes allusions aux soupçons et aux plaintes de ce frère de Napoléon.

L’auteur de l’article du 1er mai, nous le reconnaissons, indique la source où il a puisé ces révélations d’une si grossière invraisemblance ; mais sans qu’un seul mot de sa part donne à entendre qu’il ne les accueille qu’avec réserve, sinon avec défiance. Cette source est un livre qui a paru en 1858 sous le titre de Mémoires du comte Miot de Mélito. Je demande à l’opinion publique de condamner formellement ce système littéraire, en vertu duquel un fait, parce qu’il est rapporté dans un écrit imprimé, acquiert pour un auteur le caractère de la certitude historique au point d’être enregistré par lui sans commentaires. Il n’y a pas de