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nullité du mariage contracté par mon père en Amérique, car c’est bien le pape Pie VII qui a fait bénir et célébrer par son représentant religieux le mariage du prince Jérôme avec la princesse Catherine de Wurtemberg, ma mère. Serait-il juste, en retraçant, par exemple, l’historique de la bataille de Marengo, de dire que les Français ont commencé par être battus, sans ajouter qu’un heureux retour offensif leur a fait gagner la bataille à la fin de la journée ? Or j’ai cherché en vain dans l’exposé la simple conclusion que le saint-père avait reconnu le peu de fondement de ses premiers scrupules, et qu’il avait donné la bénédiction religieuse au second mariage du prince Jérôme.

Convaincu que dans cette question, qui touche à l’honneur et aux droits de ma famille, mon devoir ainsi que mes intérêts étaient d’appeler sur elle toute la lumière possible, j’ai toujours saisi l’occasion de répondre aux attaques juridiques par le droit commun, ou aux allégations soi-disant historiques par la publicité. C’est ainsi qu’en 1861 et 1863 j’avais la faculté, dans un procès successivement porté devant le tribunal de la Seine et devant la cour impériale de Paris, d’arrêter le débat sur le fond même de la cause en soulevant une question d’incompétence ; je pouvais invoquer l’autorité souveraine du conseil de famille impérial, me prévaloir de sa juridiction exceptionnelle reconnue par nos lois : je n’en ai rien fait, j’ai accepté, provoqué même, une discussion solennelle. Deux décisions fondées sur les principes du droit commun sont venues confirmer les décrets de l’empereur Napoléon Ier et les sentences du conseil de famille des 4 juillet 1856 et 5 juillet 1860 rendues du vivant de mon père ; elles ont fait plus : elles ont donné à ces annulations successives et répétées du mariage de Baltimore l’autorité de la chose jugée, après une longue et minutieuse analyse des faits, une grande publicité de discussion, la mise en lumière des incidens les plus secrets, l’accord de la magistrature, unanime à tous les degrés, motivé sur des considérans de la plus lumineuse clarté.

Voici l’historique exact du mariage de Baltimore, historique que je ne me lasserai pas de reproduire toutes les fois que je trouverai une tendance à le dénaturer.

En 1803, après la rupture de la paix d’Amiens, Jérôme Bonaparte, jeté sur les côtes des États-Unis par les hasards d’une croisière aux Antilles interrompue par les Anglais, s’éprend de la fille d’un riche négociant de Baltimore, Mlle Elisabeth Paterson. Le 25 octobre, le jeune officier de marine signifie au consul-général de France à Washington, M. Pichon, que son intention est d’épouser prochainement cette jeune personne. M. Pichon, devinant toute la gravité qu’une pareille décision peut avoir pour l’avenir du frère du premier consul, rédige trois protestations ; l’une adressée à Jérôme, l’autre à M. Paterson, la troisième à l’agent consulaire à Baltimore, avec ordre à ce dernier de remettre à M. Paterson