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Il est impossible de refaire, même par l’imagination, ce qui aurait pu arriver, si cette combinaison d’une royauté française en Pologne eût été conçue dans un esprit plus sérieux et exécutée avec plus de suite, si elle eût été en un mot autre chose qu’un accident. Ce qui est certain, c’est qu’elle se liait à un plan politique dont elle ne pouvait être détachée sans perdre de son prix, et qu’elle était faite pour servir les deux nations dont elle scellait l’alliance, pour ouvrir la voie à toute une destinée nouvelle, à tout un ordre nouveau d’événemens en Europe. A ne voir les événemens que par leur apparence, la Pologne, quant à elle, n’avait certes pas beaucoup perdu en perdant Henri de Valois : en échange du duc d’Anjou, elle trouva celui qui a été un de ses plus grands princes et qui lui a donné encore de beaux jours, Etienne Battori ; mais cet interrègne du XVIe siècle, d’où sortait la royauté d’un Valois, marque justement l’heure où le développement politique de la Pologne était arrivé à une crise décisive, et où une dynastie française survenant à propos aurait pu exercer une influence heureuse ; non en essayant de pervertir et de violenter les institutions pour les ramener au type d’absolutisme qui prévalait en Europe, mais en les modérant et en les fixant, en les retenant sur la pente où déjà elles commençaient à s’engager. De toutes les causes qui ont été si souvent représentées comme ayant préparé la ruine de la Pologne en la livrant à demi dissoute et désarmée à ses ennemis, aucune n’avait eu encore le temps d’exercer une action dissolvante.

Le principe électif appliqué avec une jalousie passionnée à la couronne a eu sans doute pour résultat de livrer le pays au jeu des ambitions et des influences étrangères, à d’énervantes mobilités ; mais jusqu’au dernier des Jagellons le principe électif restait tempéré par l’hérédité de fait, une hérédité spontanément consacrée par le bon sens national, et en réalité la Pologne n’avait eu que trois dynasties marquant les phases essentielles de son existence. Les Jagellons avaient duré près de deux siècles. — Le liberum veto est devenu avec le temps un des plus actifs élémens de dissolution, une arme de faction et d’anarchie par cette obligation étrange de l’unanimité des suffrages qui livrait la république à la volonté d’un seul homme ; jusqu’au XVIe, siècle, c’était un grand principe moral bien plus qu’une règle absolue et étroite. — La noblesse s’est faite perturbatrice et exclusive, elle s’est livrée à toutes les mauvaises inspirations de l’esprit de parti et de l’esprit de caste ; mais pendant longtemps elle était restée un grand corps incessamment rajeuni, soit par la facilité de l’adoption que pratiquaient les grandes familles, soit par tout autre moyen. On anoblissait quelquefois tout un village, et il arrivait que pour un acte de bravoure un régiment