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pouvoir. Elle disposait encore de prérogatives et de ressources considérables ; elle était la distributrice de cet immense fonds territorial qui s’appelait les starosties, et qui constituait la feuille des bénéfices laïques à côté des bénéfices ecclésiastiques. Elle avait surtout un grand pouvoir moral : elle profitait de cette fidélité instinctive qui faisait qu’une hérédité volontairement consentie balançait les inconvéniens du principe électif, — de ce culte chevaleresque dont on s’inspirait en disant au roi « votre amour » au lieu de « votre majesté ; » mais c’était justement le sens du travail qui s’accomplissait de tendre incessamment à limiter de toute façon l’autorité royale, et ce que les Anglais ont résumé depuis dans le célèbre axiome, — le roi ne peut mal faire, — les Polonais, bien avant les Anglais, l’avaient inventé en disant avec la poésie de leur imagination « que le roi est une espèce d'abeille-mère qui seule ne travaille pas, et, n’ayant pas d’aiguillon, ne peut faire de mal. »

Au XVIe siècle, ce travail touchait à sa fin et achevait de caractériser cette curieuse conception qui s’est appelée « la république du royaume de Pologne, » — une république singulière avec un roi au sommet, avec un sénat conseil et guide de la royauté, avec un ordre équestre qui n’était rien d’abord et qui en venait peu à peu à être tout, à éclipser la royauté et le sénat, à constater sa victoire en proclamant le suffrage universel, l’égalité des droits politiques entre la grande et la petite noblesse, en disant avec Jean Zamoyski au sein d’une diète : « Dans une république libre, les lois étant égales pour tous, rien n’est plus équitable et plus légitime que l’égalité des suffrages, et puisque chacun défend le pays de sa personne en temps de guerre, il est juste que chacun prenne personnellement part au vote. » Ce fut là le terme du développement de cette démocratie nobiliaire qui formait la « nation légale, » — une nation, il ne faut pas l’oublier, composée d’un peuple de deux millions d’âmes et représentée par deux cent mille gentilshommes toujours prêts à délibérer et à voter comme ils étaient toujours prêts à combattre.

La liberté était le premier et le dernier mot de cette organisation virile. Les citoyens élisaient leurs juges de district comme ils élisaient leur roi et leurs nonces. Ce qu’on appellerait aujourd’hui la décentralisation existait complètement en Pologne. Au-dessous de la diète, en qui se personnifiait l’unité nationale, et qui devenait même quelquefois un tribunal suprême, chaque palatinat formait une sorte de petit état distinct jouissant d’une autonomie presque absolue ; il avait ses chefs, palatins et castellans, qui devaient être propriétaires dans la circonscription ; il se gouvernait et