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de Châtillon, à Téligny. Sa physionomie mâle et grave portait l’empreinte des fortes méditations et des violentes anxiétés. Les épreuves plus que les années avaient blanchi sa barbe. Il en imposait par sa personne autant que par sa valeur comme soldat et par son intégrité comme chef de parti. Rallié de bonne heure au protestantisme, il en avait la foi rigide fixée dans son âme et enflammée par dix ans de guerre ; mais en même temps les passions religieuses n’altéraient pas en lui la droiture morale, le sens politique. Sans être plus confiant qu’un autre, en restant le gardien le plus fidèle des intérêts de sa cause, il s’était laissé aller à croire à une vraie réconciliation des partis après la paix de Saint-Germain, et il donnait le premier un gage de sincérité en se rendant à la cour, auprès du roi, malgré l’avis de beaucoup de ses partisans, qui craignaient pour sa vie. L’amiral n’avait pas tenu compte de ces craintes. Il croyait à une vraie réconciliation parce qu’il la désirait avec une passion patriotique. Cet homme intrépide répétait souvent « qu’il aimerait mieux mourir, être traîné dans les rues de Paris que de recommencer la guerre civile, » et c’est lui surtout qui, dans la situation nouvelle, devenait l’âme d’une politique dont le dernier mot était d’arracher la France aux luttes religieuses pour la jeter à la poursuite de la grandeur extérieure. La reine-mère et le duc d’Anjou redoutaient l’amiral ; le roi l’écoutait et s’affermissait dans cette pensée de guerre qui répondait à tous ses instincts. Le projet de Coligny était aussi vaste que vigoureusement combiné, il embrassait tout ; il est resté formulé dans un mémoire que l’amiral avait fait rédiger par Duplessis-Mornay, qu’il remit au roi et en tête duquel étaient inscrites ces belles paroles faites pour être le mot d’ordre d’une telle entreprise : « Sire, il faut que la guerre soit non-seulement utile, mais qu’elle soit juste, et que le profit n’y soit moins honorable que l’honneur profitable. »

Où attaquer l’Espagne ? — « En Flandre, disait Coligny, et marcher droit au cœur du pays. La Flandre est sous nos yeux, elle s’offre sous nos coups ou plutôt elle est dans nos mains, éloignée de l’Espagne, éloignée de l’Italie, si proche de nous qu’elle semble nous inviter. Les peuples nous tendent les bras et font, pour ainsi dire, la moitié du chemin. La division qui y règne nous ouvre les portes des villes et renverse toutes les murailles qui défendent les provinces… » Et l’amiral montrait tout ce qui pouvait assurer le succès, — la France aguerrie prête à oublier ses querelles pour s’élancer sur les pas de son roi, l’Angleterre alliée, les princes allemands favorables à l’entreprise française, les populations des Pays-Bas poussées au désespoir par les violences sanguinaires du duc d’Albe, Guillaume d’Orange montrant ce qu’il pouvait comme