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Manquait pas de certaines séductions. Sur son visage, il n’y a pas cette sorte d’idéal étrange de corruption qu’on peut voir sur ce front lisse, dans ce regard mystérieux et implacable, dans ces traits fins et équivoques, dans toute cette mine à la fois audacieuse et contenue d’un César Borgia tel que l’a peint Raphaël. C’était la corruption d’un mignon « embarqué en la mer des plaisirs de la cour de France, » affadi de vices. L’ambassadeur vénitien le représente avec une haute taille, des manières gracieuses, « les plus belles mains qu’homme ou femme ait en France, » et de la dignité dans le maintien, si elle n’eût été gâtée par une afféterie ridicule même pour le temps. Ses ajustemens prétentieux lui donnaient l’air efféminé ; il avait une extrême recherche dans son linge et dans l’arrangement de sa chevelure. « Il a d’ordinaire au cou, dit Morosini, un double collier d’ambre serti d’or qui flotte sur sa poitrine et répand une suave odeur ; mais ce qui, pour tout le reste, selon moi, lui fait perdre beaucoup de sa dignité, c’est d’avoir les oreilles percées comme les femmes (habitude assez ordinaire chez les Français), et encore ne se contente-t-il pas d’une seule boucle d’oreille de chaque côté, il en porte deux avec pendans de pierreries et de perles. » Marguerite de Valois, la future reine de Navarre, raconte qu’un jour, au château de Plessis-les-Tours, son frère d’Anjou l’avait emmenée dans une allée solitaire du parc, et là s’était ouvert à elle, lui demandant d’être sa complice à la cour pendant ses absences, de tout surveiller, de travailler « à sa bonne fortune. » Il craignait que le roi, devenant ambitieux, disait-il, ne « veuille changer la chasse des bestes à celle des hommes, m’ostant la charge de lieutenant de roy qu’il m’a donnée pour aller luy-mesme aux armées… » Je ne sais s’il y a beaucoup de scènes de l’histoire plus curieuses et plus caractéristiques que cette conversation d’un prince de moins de vingt ans dans les jardins de Louis XI. Voilà le héros : il n’était pas à la hauteur de tous les rôles qu’on rêvait pour lui, de la place qu’on lui faisait dans les plans de la politique française. On l’avait trop grandi, imprudemment grandi, de telle façon qu’il avait fini par exciter toutes les jalousies de son frère Charles IX, et c’est pour cela, à part l’ambition, que Catherine se hâtait de rechercher un trône en Pologne pour ce fils préféré, en attendant le moment, prochain peut-être, où il s’assoirait lui-même sur le trône de France.

Charles IX valait mieux que son frère, dont il enviait le sort lorsqu’il disait avec une secrète amertume au poète Dorat, qui lui adressait des vers après Moncontour : « Ha ! n’escrivez point, désormais rien pour moy, car ce ne sont que flatteries et menteries de moy, qui n’en ay donné encore nul sujet d’en bien dire ; mais