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son âme passionnée et inquiète ; mais il n’était pas seul, il avait auprès de lui, autour de lui, sa mère Catherine de Médicis, son frère le duc d’Anjou, le parti catholique extrême, la faction des Guises, qui subissait la paix religieuse avec impatience, qui, avec l’appui de l’Espagne, attendait la main sur l’épée, l’œil fixé sur la couronne, et toutes ces influences se mêlant, se contrariant, conspiraient la ruine d’une entreprise où il fallait avant tout agir résolument, sincèrement. La reine-mère n’était pas femme à se laisser éblouir par ces projets de grandeur nationale. Elle avait certes le génie des combinaisons, mais dans les petites choses, dans la sphère de sa vivace et secrète ambition. Italienne de caractère et d’esprit, longtemps comprimée et subordonnée à la cour de Henri II, accoutumée à la dissimulation et à la ruse, capable de tout excepté de scrupule, elle se consumait depuis dix ans à conquérir le pouvoir, n’ayant d’autre pensée que de préserver la royauté de ses fils à travers les guerres civiles et de régner elle-même par ses enfans. Menacée par les Guises aussi bien que par les protestans, elle s’était fait un art de tromper tout le monde, indifférente sur les moyens, prête à caresser ou à exterminer ses ennemis, suivant sa politique d’expédiens avec tous les raffinemens d’une fourberie souveraine, avec un mélange singulier d’opiniâtreté et de souplesse, de dextérité et de violence. Elle ne repoussait pas l’idée de la guerre contre l’Espagne ; mais elle craignait le ressentiment des catholiques, elle s’effrayait de la prépondérance des protestans, et ce qu’elle redoutait surtout, c’était pour elle-même une diminution d’autorité. De ses trois fils qui portèrent successivement la couronne, celui qu’elle préférait, ce n’était ni François II ni Charles IX, c’était le duc d’Anjou, qui fut bientôt Henri III. Dans cet esprit positif de Catherine de Médicis, toutes les chimères se déployaient dès qu’il s’agissait de ce fils, pour qui elle rêvait un mariage avec la reine Elisabeth d’Angleterre, une royauté d’Alger, la couronne de Pologne, dont elle avait fait en attendant un lieutenant-général du royaume et en qui les contemporains virent un instant presque un héros, presque un grand capitaine, parce que le vieux Tavannes lui faisait gagner les batailles de Jarnac et de Moncontour en le forçant « d’être soldat contre son naturel. »

On avait donné au duc d’Anjou le nom triomphal d’Alexandre ; il n’avait certes rien du héros de Macédoine. Choyé par les catholiques, qui voyaient en lui leur chef et l’opposaient au roi, exalté par sa mère, qui croyait retrouver en lui son image, dont il avait la dissimulation et la finesse, c’était un jeune homme tourmenté d’ambitions, sans être un soldat ni même un politique, cachant les instincts d’une nature ombrageuse et féline sous un extérieur qui ne