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sentiment des traditions françaises, dans cette œuvre de Henri de Valois et la Pologne en 1572, résumé d’un temps où s’agite déjà obscurément un problème que les excès de la force n’ont fait qu’envenimer sans le résoudre jamais. Peu de livres sont plus instructifs et plus attrayans ; peu d’études historiques ont cette bonne grâce dans la science, ce charme du récit, ce mélange de clairvoyance, d’équité, et d’élévation. Ce n’est qu’un épisode, disais-je ; mais cet épisode, cette éphémère royauté d’un Valois jetée au nord de l’Europe, c’est la politique de notre pays à un moment décisif du XVIe siècle, avec tous ses élémens, ses perplexités et ses luttes ; c’est la politique française s’ébauchant et s’altérant au sein des guerres, civiles, aux lueurs sanglantes de la Saint-Barthélemy, se débattant, entre l’absolutisme espagnol qui la presse, qui l’envahit, et ce libéralisme inné qui l’entraîne vers la Hollande insurgée, vers la Pologne elle-même comme vers le champ de bataille des futures destinées européennes.

Aujourd’hui, quand la France se tourne vers le nord, là où était un peuple, elle ne trouve plus qu’un grand vide dans l’organisme public, une plaie profonde et vive, un amas de misères et d’irritations mauvaises conseillères. Il y a trois siècles, à cette même place, elle trouvait une nation libre, florissante et animée, bouclier des libertés de l’Europe vers le nord et vers l’orient. Une alliance se formait, œuvre de politique et de sympathie, « se pouvant dire, écrivait le roi Charles IX, que s’il y a quelque convenance et conformité de mœurs entre aucune nation du monde, elle se trouvera plustost entre la nation françoyse et la polonoyse que nulles autres, estant toutes deux pleines de grande humanité et douce conversation. » C’est le résumé complet des relations de la France et de la Cologne vues aux deux points extrêmes, avant et après la catastrophe, à travers tous ces déplacemens de puissance qui ont laissé dans le monde moderne le germe d’inépuisables agitations, qui sont l’attestation vivante et corruptrice des victoires de la force. De là justement l’intérêt de ce livre de galant homme et de bon Français, reprenant à ses origines ce drame de diplomatie et de guerre, ravivant une époque, un moment de l’histoire où la Pologne était encore debout, où la France trouvait en elle une complice volontaire et utile, non une cliente malheureuse, où la forte alliance des deux nations, pratiquée avec suite, eût épargné à l’une la perte de son indépendance, à l’autre l’amertume des protestations tardives et des regrets inutiles en changeant peut-être le désespoir de l’Europe.