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de n’être étrangère à rien, de ne pouvoir, comme la vieille Angleterre, s’enfermer dans son île, « fragment détaché du volume du monde, » selon le mot de Shakspeare, de garder toujours cette sève expansive, cette belle passion qui l’entraîne sur les champs de bataille ou dans les négociations pour des causes qu’elle fait siennes, auxquelles, elle s’identifie d’âme et d’esprit. Et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il en est ainsi. Les annales françaises sont pleines de ce travail qui se poursuit à travers des mobilités apparentes, des contradictions et des défaillances. Un invincible attrait ramène la France à cette politique qui consiste à soutenir les faibles et les indépendances menacées, à ne pas laisser le droit sans défense, à refouler l’esprit de conquête et les dominations de la force. Je ne veux pas dire que la France n’ait jamais été infidèle à cette politique ; mais elle en a été toujours promptement punie, elle a senti bientôt à ses propres blessures, à ses propres désastres, la toute-puissance vengeresse de ce droit qu’elle offensait ou qu’elle laissait offenser, et dont elle est faite pour rester le premier soldat.

Ceux, qui ne voient dans ce rôle qu’une fantaisie ruineuse, un luxe d’orgueil inutile ou une fureur nouvelle de propagande révolutionnaire, ceux-là se trompent étrangement. Ils ne voient pas que, lorsqu’ils proposent à la France de se désintéresser de tout, de laisser le monde marcher comme il veut et de rester chez elle à soigner son bien-être, ils lui proposent de se renier elle-même, dans son génie, dans son passé et dans son avenir, — qu’il y a des pays pour qui les questions, d’influence sont des questions d’existence. Ils ne voient pas que, lorsque le Danemark succombe après la Pologne sous les coups de la force victorieuse, c’est la France qui est vaincue, qu’il ne suffit pas de se résigner piteusement aux faits accomplis pour se délivrer des embarras, — que ces embarras au contraire, en s’accumulant, amassent d’effroyables, orages, et qu’à laisser tout faire on se réveille un jour isolé, cerné, menacé, avec l’amertume irritante de la défaite sans avoir combattu. S’ils ne fermaient pas les yeux à toutes les lumières de l’histoire, ils verraient clairement que les prospérités ou les revers de la France, que sa grandeur et sa sûreté même se mesurent à la fortune de ces causes dont elle fait ses clientes, au degré de suite et de fermeté de cette politique qui a été plus d’une fois l’inspiration du passé ayant de se retremper au feu de la révolution, qui se déroule au courant des choses et se condense, de temps à autre en saisissans épisodes. C’est un de ces épisodes que M. le marquis de Noailles fait revivre dans cette œuvre simple, courante, animée, substantielle, où la sève libérale moderne s’allie au