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cette fois en secret et dans le plus bref délai possible. Il était difficile de se montrer plus accommodant. Consalvi fut profondément touché d’un si obligeant procédé. Quelques jours plus tard, il se rendit à son tour chez M. Jackson pour l’en remercier. Dans l’intervalle, les lettres de l’empereur et les dépêches comminatoires que son ambassadeur avait été chargé de présenter en son nom étaient parvenues au Vatican. Le cardinal ne manqua point, pendant le cours de la conversation, d’en faire part à l’envoyé britannique. le ton impérieux affecté par Napoléon et les menaces dont ces dépêches étaient remplies n’avaient rien changé, dit-il, aux déterminations du saint-père. Après avoir donné lecture à M. Jackson des lettres de l’empereur des Français, Consalvi lui expliqua de nouveau comment le gouvernement pontifical, en évitant toute apparence de raideur et toute récrimination inutile, ne cesserait point d’opposer à ses demandes une douce, mais inébranlable résistance.

Le cardinal ne se dissimulait pas d’ailleurs que les refus de sa sainteté et les raisons qu’il en donnerait, si fondées qu’elles fussent en droit, seraient très mal accueillies à Paris, et pour son compte il était persuadé qu’une rupture définitive avec l’empereur des Français était inévitable ; suivant lui, elle ne tarderait même pas à éclater[1]. Tel était aussi l’avis de M. Jackson. Une audience de congé fut accordée par le saint-père à l’envoyé britannique. Tranquille, bienveillant et digne, comme l’avait été Consalvi, Pie VII se montra

  1. Ce n’est pas seulement dans les mémoires dictés à Sainte-Hélène que Napoléon a cherché à égarer l’opinion publique sur la nature de ses différends avec Pie VII et le Vatican. Les pièces officielles publiées sous le premier empire sont remplies à cet égard d’inexactitudes monstrueuses et d’imputations vraiment inqualifiables, que notre devoir d’historien nous obligera de relever au fur et à mesure quand le moment en sera venu. Parmi ces documens, il y en a deux plus considérables que tous les autres, l’un adressé au sénat en 1810, l’autre au concile national en 1811, qui contiennent le résumé des griefs que l’empereur disait avoir à faire valoir contre le saint-siège. Dans l’exposé, qui précède le sénatus-consulte par lequel les états romains sont réunis à l’empire, exposé qu’il avait fait faire par son ministre des relations extérieures et qu’il a retouché lui-même, Napoléon, énumèrent les torts de la cour de Rome à son égard, n’oublie pas de mettre en première ligne ce qui s’était, passé en février 1806 à propos de l’envoyé anglais, M. Jackson, et voici comment il relate l’incident dont nous venons de rendre compte d’après les pièces originales de cette époque : « . … Soit aveuglement, soit obstination, la cour de Rome alla plus loin encore. Un ministre anglais, la honte de son pays, avait trouvé un asile à Rome. Là, il ourdissait des complots, salariait des brigands, tramait des perfidies, payait des assassinats, et Rome protégeait le traître et ses agens, et Rome laissait empoisonner son cabinet de leur souffle, corrupteur, et Rome trahissait en les altérant les secrets de la correspondance de son auguste allié, et Rome était devenue un théâtre de diffamation, un atelier de libelles et un asile de brigandage. » (Exposé des motifs du sénatus-consulte sur la réunion des états romains à l’empire, 17 février 1810, imprimé dans la Correspondance de Napoléon Ier, p. 162-163, t. XXVI, p. 222).