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question devenait donc de part et d’autre parfaitement insoluble ; mais, il ne faut pas l’oublier, c’était Napoléon qui, le premier, avait eu le tort de la poser ainsi, et cet excès de jactance, si contraire à l’équité et au bon sens, était loin de tourner en définitive au profit de ses véritables intérêts.

Si, l’empereur eût en effet gardé dans la prospérité un peu de cette habile sagesse qui n’avait point manqué à ses débuts, s’il eût encore retenu quelque chose de cet art profond qu’il avait autrefois si bien pratiqué, et qui consiste à se contenter d’obtenir en réalité et dans les faits une suffisante satisfaction, s’il n’eût pas contracté la déplorable habitude de vouloir désormais imposer de vive force à ses contradicteurs, comme un dernier triomphe, la mortifiante adhésion à ses moins soutenantes théories, il aurait facilement évité cette rupture avec Rome, qui lui a été si funeste, et les difficultés, si grandes qu’elles fussent, qui divisaient les deux gouvernemens, auraient pu aboutir à quelque acceptable transaction. Aussi bien, et lui-même a dû le reconnaître plus tard, il s’en fallait de beaucoup que Consalvi méritât, si peu que ce fût, les reproches d’entêtement et de raideur que Napoléon, mal renseigné par son ambassadeur, lui jetait alors si légèrement à la tête. Peu de jours précisément avant que les dernières et violentes sommations du souverain français ne fussent parvenues à Rome, l’adroite entremise du cardinal secrétaire d’état venait de réussir à écarter sans bruit la pierre d’achoppement qui entravait le plus incommodément, à l’heure dont nous parlons, les rapports des deux gouvernemens. Voici en effet ce qui s’était passé à Rome au sujet de l’agent britannique, M. Jackson.

M. Jackson, accrédité de vieille date auprès de l’ancien roi de Sardaigne et qui avait suivi ce prince dépossédé dans sa retraite à Rome, n’était à aucun degré le personnage ardent et brouillon que Napoléon mettait tant d’insistance à dénoncer au Vatican. Bien loin de là, sa correspondance avec son gouvernement témoigne de sa constante réserve et de sa naturelle modération. Il avait toujours usé, dans la situation délicate où les circonstances l’avaient placé, d’une grande prudence et d’une extrême circonspection. Non-seulement il avait évité d’entrer en communication directe avec le gouvernement pontifical, mais il avait pris soin de dissimuler le plus possible sa présence à Rome en y vivant d’une façon parfaitement modeste et retirée[1]. Il est vrai toutefois que, du fond de son obscure retraite, sans s’agiter et sans paraître, M. Jackson, suivant en cela les traditionnels usages des diplomates anglais, avait

  1. Dépêches de M. Jackson (1805-1806). — Forein-office.