Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les deux gouvernemens. Tous les efforts de la malveillance impériale avaient cependant échoué devant l’inaltérable confiance de Pie VII dans son fidèle conseiller. Surpris de si mal réussir, et plus que jamais résolu d’en venir à ses fins, Napoléon avait alors essayé un autre genre de démarche, contraire à tous ses procédés ordinaires, et qui témoigne à la fois de l’opinion qu’il avait de la solidité de la situation du secrétaire d’état à Rome et de son estime profonde pour son caractère. On vit le maître tout-puissant de la France, l’homme qui faisait profession de ne pas croire aux généreuses inspirations de la conscience humaine, faire tout à coup appel au désintéressement bien connu de son adversaire et prier le ministre du pape de vouloir bien quitter de lui-même, par bonne grâce et de son propre mouvement, le poste officiel d’où les assauts répétés de sa malveillance n’avaient pas réussi à le faire déchoir. Plus que tous les autres, cet acte dut coûter à l’orgueil de l’empereur ; cependant il n’hésita pas. « S’il aime sa religion et sa patrie, dites bien à Consalvi, écrit l’empereur à son oncle, qu’il n’a qu’un de ces deux partis à prendre : faire toujours ce que je veux, ou bien quitter le ministère[1]. »


II

En reproduisant avec quelque étendue et dans leurs propres termes les documens émanés de Napoléon lui-même, nous nous sommes proposé de bien constater quelle était, au printemps de 1806, sa disposition d’esprit à l’égard du saint-siège. On doit maintenant comprendre, par leur nature même et surtout par la forme qu’il lui avait plu de leur donner, combien les exigences du chef de l’empire français étaient difficilement acceptables pour la cour de Rome. A l’origine, lorsque pour la première fois il avait, du fond de l’Allemagne, demandé au pape le renvoi des agens russes et anglais et la fermeture des états pontificaux aux sujets des puissances avec lesquelles il était en guerre, l’empereur avait été presque exclusivement décidé par des raisons militaires. Il avait été surtout frappé de la nécessité de relier fortement ensemble ses armées du nord et du midi de l’Italie. Les Russes, encore maîtres à cette époque de Corfou et des îles ioniennes, menaçaient Ancône de trop près. Les Anglais, qui barraient à son frère Joseph le passage en Sicile et qui défendaient contre ses généraux la citadelle de Gaëte, avaient trop de facilité pour se ravitailler à

  1. Mémoires du cardinal Consalvi, t. II, p. 428.