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récit, d’en relever, preuves en main, les inconcevables inexactitudes. Quant aux mobiles mêmes de sa conduite, quant aux secrets desseins que Napoléon se prête à lui-même, comment ne pas l’en croire un peu sur sa propre parole ? Pour notre compte, nous aurions pensé, en les lui attribuant, faire injure au sage auteur du concordat, et, révélés par un autre, nous les aurions taxés d’invraisemblance et de folie. Tout en faisant la part de l’exagération maladive que les souffrances de la solitude et de l’exil ont pu développer chez cet esprit d’ordinaire si vigoureux et si sain, il est difficile de ne pas admettre, en partie du moins, la réalité d’un plan que son auteur prend plaisir à développer avec tant de détails et une si complaisante partialité. Fidèle à notre système de le juger de préférence sur son propre témoignage, c’est au fondateur même du premier empire que nous laisserons le soin d’indiquer de quelle façon il comprenait sa mission et le rôle qu’il entendait jouer dans tout ce qui regardait les affaires de la religion.

Ce qui paraît surtout importer à l’empereur dans les pages dictées à Sainte-Hélène, c’est de bien établir que les matières religieuses avaient toujours été de sa part l’objet d’une particulière attention. « Ces connaissances étaient nécessaires, dit-il, au conquérant et au législateur des républiques transpadane et cispadane. En 1798 et 1799, il avait dû étudier le Coran ! .. Il fallait bien qu’il se fût rendu habile dans la connaissance de l’une et l’autre religion, car cela contribua à lui captiver l’affection du clergé catholique en Italie et des ulémas en Égypte[1]. » C’est dans cette disposition d’esprit qu’il avait négocié le concordat. Parmi les clauses de cette grande transaction religieuse, il en est une qu’il se réjouit surtout d’avoir imposée au saint-père. « Pie VII avait été conduit, dit-il, à destituer lui-même, de sa propre autorité, un grand nombre d’évêques anciens, cela était nouveau dans l’église ; » mais en destituant ces évêques restés fidèles à l’ancienne dynastie le saint-père « rompait le dernier fil par lequel les Bourbons dépossédés communiquaient encore avec le pays ; » voilà ce qui plaisait surtout à Napoléon. « Il est vrai que le concordat reconnaissait dans l’état un pouvoir étranger propre à le troubler un jour ; mais il ne l’introduisait pas, il existait de tout temps. » D’ailleurs Napoléon, maître de l’Italie, c’est encore lui qui nous le dit, se considérait comme le maître de Rome, et cette influence italienne devait lui servir à détruire l’influence anglaise[2]. Il n’entrait pas dans ses vues d’altérer en rien la croyance de ses peuples. «… Il respectait,

  1. Mémoires de Napoléon Ier, notes et mélanges, t IV, p. 192.
  2. Ibid., p. 195.