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à leur prêter créance, l’empereur avait probablement encore présens à la mémoire les rapports mensongers ; de ces indignes correspondans lorsque, dans ses mémoires dictés à Sainte-Hélène, il ne craint pas d’affirmer que « les agens de la cour de Palerme, de celle de Cagliari et les intrigans soudoyés par l’Angleterre avaient établi à Rome le centre de leurs intrigues[1]. » En revanche il avait sans doute complètement oublié à cette époque les lettres à lui adressées par le saint-père et dont nous avons cité plus haut le texte même. S’il en eût gardé le moindre souvenir, comment aurait-il pu, sans la plus criante injustice, reprocher à Pie VII dans ces mêmes mémoires (ce sont ses termes exprès) « d’avoir pris pour lui écrire la plume de Grégoire VII[2]. » Il n’est pas à coup sûr moins éloigné de la vérité quand il prend plaisir à supposer que ces misivres du pape lui avaient été dictées par son secrétaire d’état Consalvi, et que Pie VII en était seulement le signataire.

Pareilles erreurs, involontaires ou non, ne sont pas rares, elles fourmillent au contraire dans les notes laissées par Napoléon sur ses démêlés avec le saint-siège. A première vue, ces notes, qui font partie des mémoires de l’empereur, semblent à ce titre avoir droit à une juste autorité. Cependant, quand on les étudie de près, on découvre quelles contrastent le plus singulièrement du monde avec tous les autres écrits directement émanés de l’illustre prisonnier de Sainte-Hélène. D’ordinaire si parfaitement véridique et si sobre de réflexions dans le beau récit des campagnes qu’il a dicté aux généraux qui ont eu l’honneur de porter eux-mêmes ses ordres sur tant de champs de bataille, si difficile sur ses propres souvenirs quand il parle devant eux de tout ce qui se rapporte à la guerre, Napoléon ne garde plus du tout les mêmes scrupules dès qu’il emploie la plume de ses secrétaires improvisés pour traiter les questions qui leur ont été toute leur vie étrangères. Les notes trop peu connues que nous signalons en ce moment à l’attention de nos lecteurs ont été consacrées par Napoléon à l’examen de l’ouvrage de M. de Pradt sur les quatre concordats, ouvrage qui parut à Paris en 1818. Ces pages contiennent à la fois dans leur ensemble un peu confus l’énumération des griefs de l’empereur contre le saint-père et l’exposé des motifs qui dirigèrent sa conduite à l’égard de l’église romaine. L’exposé des faits est non-seulement incomplet, mais le plus souvent de pure fantaisie, et tel qu’à peine nous paraît-il avoir pu jamais être accepté même par les dévoués compagnons de sa dure captivité. Nous aurons occasion, pendant le cours de ce

  1. Mémoires de l’empereur Napoléon Ier, t. IV, p. 203.
  2. Ibid.